ANALYSES

La crise alimentaire mondiale est déjà là

Presse
20 mai 2021
Interview de Sébastien Abis - Terre-Net
Un an et demi après l’apparition de la pandémie de Covid-19 en Chine, où en est-on sur le plan de l’alimentation mondiale ?

Lorsque la pandémie est arrivée, nous sortions d’un contexte global de production agricole plutôt favorable car il y avait eu plutôt de bonnes récoltes en 2018 et 2019. Cela n’a pas été le cas en 2020 pour des raisons climatiques même si les agriculteurs du monde entier sont restés actifs et ont continué à produire. Avec la crise sanitaire, l’insécurité alimentaire a gagné du terrain dans le monde. Confinements territoriaux, baisse des revenus et chômage ont accentué la paupérisation des consommateurs. Beaucoup de personnes qui faisaient partie de la classe moyenne dans les pays émergents sont en train de retomber dans la pauvreté.

Parallèlement, la Covid a accentué les tensions sur les prix alimentaires pour diverses raisons. Certains pays ou acheteurs privés ont ainsi sur-stocké au départ des denrées par précaution. La Chine, qui a eu une reprise économique plus rapide que prévu, a été le moteur principal de la hausse des prix des matières premières agricoles en 2020. D’autant qu’elle a massivement augmenté ses achats de soja et de maïs afin de reconstituer son cheptel porcin, décimé par la fièvre porcine africaine. Les hausses des prix du fret maritime et du pétrole ont contribué également à un emballement des cours des matières premières dans leur ensemble.

Est-ce que ces hausses de prix agricoles vont se calmer ?

Personnellement, je ne vois pas trop de facteurs baissiers à court terme. Soit on reste aux alentours des prix élevés actuels soit on peut même connaître des hausses de prix supplémentaires dans les prochains mois. Et si la reprise est plus que rapide que prévu, notamment aux États-Unis, les tensions sur le prix des matières agricoles pourraient encore s’accroître.

Globalement on produit assez de nourriture pour nourrir la Planète. Mais elle ne se trouve pas dans les pays qui en ont le plus besoin. Il faut donc la déplacer de plus en plus pour rapprocher l’offre et la demande. Tout cela dans un contexte de ballet logistique et commercial un peu tendu par la Covid-19 alors que certains états s’interrogent sur le fait de moins exporter, de mettre des embargos. Je suis plus inquiet qu’il y a un an par rapport à l’état de la sécurité alimentaire mondiale.

Y-a-t-il un risque de connaître une crise alimentaire mondiale comme celle de 2007/2008 qui s’était accompagnée d’émeutes de la faim ?

Nous sommes déjà dans une crise alimentaire aujourd’hui que l’on ne nomme pas comme cela car c’est d’abord vu comme une « crise pandémique ». L’aspect sécurité alimentaire n’est pas exprimé. Nous sommes pourtant dans une crise sociale, politique et économique comparable à ce qu’on a vécu en 2007/2008 vis-à-vis de l’accès à l’alimentation pour tous, c’est-à-dire pour les plus fragiles.

Aujourd’hui, il y a des « émeutes sociales » – même si on ne les appelle pas comme cela – dans certains pays, à cause de la pandémie, des confinements, de la baisse des revenus et du pouvoir d’achat des consommateurs. La faim dans le monde s’amplifie avec la crise du Covid. Les zones les plus menacées par le cocktail explosif mixant tensions géopolitiques, sociales et problèmes structurels des systèmes alimentaires, sont sans conteste l’Afrique du Nord, le Moyen-Orient et certains pays africains subsahariens. Sans compter l’Amérique latine et du Sud, en pleine ébullition.
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