ANALYSES

Amazon : 44 milliards de chiffre d’affaires… et pas un euro d’impôt sur les sociétés

Presse
10 mai 2021
Interview de Éric Vernier - Marianne

Pouvez-vous d’abord nous expliquer ce qu’est l’impôt sur les sociétés ?


L’impôt sur les sociétés est calculé de la même manière dans quasiment tous les pays qui l’utilisent. C’est un impôt sur les bénéfices des entreprises. Si une société ne réalise pas de bénéfice – que ces dépenses sont supérieures ou égales à ces recettes – elle ne paiera aucun impôt sur les sociétés. En revanche, tous les pays de l’UE n’imposent pas au même taux : en France, par exemple, cet impôt tourne autour de 25-30% tandis qu’au Luxembourg il n’atteint que 15%.


Amazon affirme que s’ils n’ont payé aucun impôt sur les sociétés en 2020 en Europe malgré 44 milliards d’euros de chiffre d’affaires, c’est parce qu’ils n’ont pas réalisé de bénéfices compte tenu notamment de lourds investissements. Qu’en pensez-vous ?


Si on s’en tient à leurs comptes c’est vrai. En revanche, il faut se poser la question de pourquoi ils n’ont pas réalisé de bénéfices en Europe. L’argument de l’investissement, même si Amazon en a fait, est malhonnête. Il faut plutôt regarder du côté des jeux d’écriture qui cachent un système financier et fiscal permettant d’augmenter les charges et donc de ne pas avoir de bénéfices à déclarer.


Pouvez-vous nous expliquer ce que sont ces constructions ?


L’élément principal dans ces montages fiscaux c’est ce qu’on appelle le prix de transfert. Amazon est un groupe qui possède une multitude de sociétés à travers le monde. Le prix de transfert, c’est celui appliqué à un service ou un produit qui va être vendu par une filiale Amazon à une autre filiale du groupe. Cela peut être une marchandise. Mais dans le cas d’Amazon ce sont surtout des royalties, des brevets ou des licences. Par exemple, Amazon Europe paye des licences ou des brevets à sa maison mère Amazon Inc. pour utiliser ses services. Et c’est là que tout se joue. Le but est que le prix de ces licences et de ces brevets soit assez haut, pour couvrir l’ensemble du chiffre d’affaires et affirmer qu’Amazon UE ne réalise aucun bénéfice. Cet argent remonte vers la maison mère qui l’envoie ensuite vers d’autres filiales qui se trouvent dans des pays où l’impôt sur les bénéfices est quasiment inexistant. Finalement, on déplace simplement les bénéfices.


En plus de cela, Amazon a touché environ 56 millions d’euros de crédits d’impôt au niveau européen. Comment est-ce possible ?


Toutes entreprises peuvent avoir le droit de toucher des crédits d’impôt, une sorte de remboursement par les Etats. Les arguments sont toujours les mêmes : inciter à la création d’emplois, accélérer la transition écologique, etc. Si une entreprise ne réalise pas de bénéfices, les Etats rembourseront ces crédits d’impôt. Si elle en fait, la société verra son impôt diminué d’autant. Le problème avec Amazon, c’est que grâce à ces montages fiscaux qui cachent des bénéfices, les Etats qui leur ont accordé des crédits d’impôts vont devoir eux-mêmes les rembourser.


Existe-t-il une solution pour lutter contre cette optimisation fiscale agressive des grandes multinationales ?


Cela fait 20 ans que toutes ces stratégies d’évitement fiscal sont connues. La transparence fiscale des multinationales pays-par-pays pourrait nous permettre de mieux comprendre le fonctionnement et dans quels paradis fiscaux cet argent termine mais cela ne change rien puisque ces systèmes sont autorisés. Une autre solution serait de contrôler plus strictement les prix de transferts. Mais comme vous le savez, lorsque l’on avance en termes de contrôle, les grandes multinationales avancent elles aussi de leur côté et trouvent d’autres solutions. Je crains qu’on ne pourra jamais en finir avec l’abus fiscal, car pour cela il faudrait une sorte d’ordre mondial pour que les règles soient les mêmes pour tout le monde. Mais bien évidemment, dans notre société actuelle, ce n’est pas franchement envisageable ni forcément souhaitable.


 

Propos recueillis par Robin Lemoine pour Marianne.
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