ANALYSES

Notre retard sur la vaccination, ne nous permet pas de relancer notre économie

Presse
15 avril 2021
Interview de Sylvie Matelly - Ouest France
Bois, cartons, acier, semi-conducteurs… Comment expliquez-vous les pénuries actuelles ?

Il y a plusieurs effets. Le premier est celui de la pandémie. Les activités des entreprises ont cessé momentanément. Aujourd’hui, c’est moins le cas. Les économies sont reparties dans l’ordre. La Chine en premier, qui est surnommée l’atelier du monde. La deuxième explication est liée à la reprise de l’activité. Les entreprises ont essayé de rattraper leur retard créant des ruptures dans la chaîne d’approvisionnement. Dans le contexte de la guerre commerciale entre la Chine et les États-Unis, les Américains ont aussi fait pression sur Taïwan pour ne pas livrer les chinois en semi-conducteurs. Conséquence : la hausse des prix sur les matières premières, liée à une forte demande mondiale.

Est-ce que chaque pays va réduire ses dépendances vis-à-vis des pays étrangers ?

Nous allons vers un resserrement des États. La Chine veut découpler son économie de celle des États-Unis et veut relancer son économie intérieure. Cela fait vingt ans qu’elle pousse à une consommation intérieure. Mais les exportations restent encore majoritaires pour les entreprises chinoises.

La pandémie va-t-elle modifier le visage de la mondialisation ?

Oui mais pas comme on l’imagine. La Chine va se recentrer sur l’Asie avec sa fameuse route de la soie. C’est un bassin économique en Asie centrale qu’elle compte développer en apportant un soutien au développement de ces pays. De leur côté, les États-Unis investissent massivement dans leur économie. Reste la question de l’Europe. Quelle option va-t-elle choisir. Va-t-elle entendre l’appel du club des démocraties ? Ou se tourner davantage vers la Chine qui est le premier partenaire commercial de l’Europe.

L’économie de la Chine et celle des États-Unis redémarrent fortement. L’Europe semble avoir du retard à l’allumage. Quel impact cela va-t-il avoir pour le Vieux continent ?

La principale faiblesse de l’Europe à l’heure actuelle demeure la pandémie. Notre retard sur la vaccination et notre capacité à contenir la vaccination, ne nous permet pas pour l’instant de relancer notre économie. Mais si l’on compare les investissements en Europe et aux États-Unis, on n’est pas si loin.

Encore faut-il que 750 milliards d’euros promis dans le cadre du plan de relance européen arrivent sur les comptes des États…

S’il tarde à arriver, c’est que les plans de relance ne sont pas tous rédigés. En Europe, on gère l’urgence. Nous avons plus de mal à nous projeter qu’en Chine ou aux États-Unis. Le monde d’après se dessine plus vite chez eux.

Les États-Unis ont annoncé une taxation sur les entreprises : qu’en pensez-vous ?

Pour l’heure, ce ne sont que des annonces. Obama avait aussi le projet de réformer Wall Street. Néanmoins, le fait que le plan de Biden, et ses 1 900 milliards de dollars, soit passé aussi rapidement au Sénat, ça lui donne les moyens de réformer son pays. Il est en train d’engager un virage à gauche. Il se dit sûrement qu’à son âge, il n’a pas beaucoup et ne risque pas grand-chose. Il veut rentrer dans l’Histoire.

Quels effets sur l’économie mondiale peut avoir cette annonce ?

Si les États-Unis font ce chemin seul alors qu’ils abritent parmi les plus grosses entreprises mondiales, l’impact peut être important. L’OCDE avait aussi un projet similaire mais il patine. Les Américains n’ont pas besoin d’attendre l’avis de plusieurs pays. Si on arrivait à convaincre les multinationales à déclarer leurs bénéfices en Europe, ce serait déjà pas mal.

Le FMI pointe le risque d’un redémarrage de l’économie à plusieurs vitesses. Qu’en pensez-vous ?

Les plans de relance sont logiquement plus conséquents dans les pays développés. Le FMI détermine la fin de la vaccination fin 2022 dans les pays émergents. Entre-temps, une nouvelle vague ou une nouvelle pandémie peut surgir et toucher tous les pays. Les inégalités entre pays vont se creuser.

Comment va l’économie mondiale ?

Pas si mal après ce qui s’est passé. On a eu les moyens de continuer. Les entreprises ont profité de l’argent mis sur la table. Mais il y a le revers de la médaille : ruptures d’approvisionnement, hausse des prix… La résilience de l’économie surprend tout le monde. Même le FMI qui a revu ses prévisions de croissance effectuées en janvier. On voit une économie mondiale moins affectée qu’attendu. On retrouvera en 2023-2024 un niveau de croissance que l’on aurait dû avoir sans pandémie.

Mais son état de santé n’est-il pas maintenu en vie artificiellement avec une forte injection de liquidité ?

Injecter de l’argent, c’est ce que l’on fait depuis des années. Avant 2019, les États-Unis ont connu la période de croissance la plus longue de leur histoire depuis 2008. À force d’injecter toujours plus, nous maintenons un taux de croissance. Obama avait déployé un plan de relance à 750 milliards dollars, Biden à 1900 milliards, la prochaine fois ce sera combien ? Jusqu’où irons-nous ? La conséquence de ces comportements, c’est une financiarisation de nos économies.

 

Propos recueillis par Marion Dubois pour Ouest France.
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