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Asie 1 / Europe-États-Unis 0 : comment l’Occident a perdu la bataille du Covid

Presse
17 mars 2021
Au début de l’épidémie, pourquoi les occidentaux se sont-ils voilés la face et ont pensé que le problème était strictement asiatique comme l’a pu être le SRAS ? Y-avait-il un sentiment d’invulnérabilité de leur part ? Était-on de ce fait moins bien préparés ?

S’il y avait un sentiment d’invulnérabilité, il était très déplacé, quand on voit que les Etats-Unis furent fortement affectés par le H1N1 une décennie plus tôt. Mais sans doute la crainte d’une pandémie mondiale était limitée, et comme le SRAS resta contenu en Asie, la croyance en une « régionalisation », mais pas une mondialisation de cette épidémie l’a sans doute emporté dans la perception des pouvoirs publics. On se souvient à ce titre des positions d’Agnès Buzin, alors ministre de la santé, qui se voulait (trop) rassurante. C’est cependant surtout une forme d’arrogance qui doit été ici mentionnée, et notamment contenue dans les propos de l’administration Trump, faisant rapidement état d’un « virus chinois ». Ajoutons enfin à cela que la ville de Wuhan, pourtant l’une des principales agglomérations chinoises, n’était pas aussi « connue » que Pékin ou Shanghai, et (à tort) peut-être considérée comme trop en marge de la mondialisation. La vitesse de propagation de la pandémie révéla la réalité de la mondialisation, sans doute insoupçonnée.

Le 17 mars 2020, la France se confinait pour la première fois, emboitant le pas à l’Italie. Un an après, la menace du confinement pèse de nouveau sur l’Hexagone et celui-ci est globalement de retour en Italie. De nombreux pays européens sont soumis à des restrictions importantes et dans le même temps les pays asiatiques (et pacifique) ont pour la plupart repris une vie normale. Pourquoi pas un pays occidental n’a de bilan satisfaisant ? Même ceux qui ont réussi à gérer correctement la première vague ont été rattrapés par l’épidémie par la suite et semblent incapable de sortir de la crise ?

On voit d’abord que les pays asiatiques n’ont pas été affectés de la même manière par la pandémie. Entre Taïwan et son bilan exceptionnel (moins de 1000 cas et 10 morts à ce jour) et l’Inde, pas le plus touché du continent, l’écart est abyssal. Les pas du Pacifique sont des cas à part, car insulaires et donc moins vulnérables et plus faciles à « fermer ». Ce sont surtout les pays d’Asie du nord-est qui affichent un bilan remarquable, d’autant qu’ils sont à la fois les plus proches du foyer épidémique, et totalement intégrés aux flux de biens et de personnes. Or, et en dépit de différences politiques profondes, ces pays sont de tradition confucéenne. Parmi les caractéristiques qui doivent être ici mentionnées figure le respect de l’autorité et des mesures gouvernementales (très peu de défiance constatée face aux mesures sanitaires pourtant lourdes), mais aussi une auto-discipline que le port très répandu du masque révélait avant la pandémie. Enfin, les pays de cette zone (Japon, Corée du Sud, Taïwan et même Chine désormais) ont immédiatement misé sur la technologie, et notamment les applications pour smartphones qui n’ont pas rencontré le même succès dans le monde occidental. Un mot enfin sur l’Asie du Sud-Est, dans laquelle on relève des différences assez prononcés du pays à l’autre, que les déséquilibres sociaux et la culture confucéenne expliquent souvent. L’écart entre Singapour et les Philippines, pour prendre un exemple, est ici très prononcé.

Y-a-t-il une confiance réciproque plus forte entre les dirigeants dans les pays asiatiques qui aurait permis une meilleure compréhension des directives et de la nécessité de certaines mesures que n’auraient pas osé mettre en place les occidentaux ?

Non, la différence avec les pays occidentaux n’est pas là. Prenons l’exemple du Japon, où Abe Shinzo, qui était Premier ministre au début de la pandémie, souffrait d’une très grande impopularité. En Corée du Sud, le président Moon Jae-in est très populaire, mais la gestion hasardeuse de la pandémie à Séoul dans les premières semaines pouvait faire craindre un désaveu, que des élections partielles organisées au printemps 2020 on démenti. À Taïwan, la présidente Tsai Ing-wen, réélue pour un second mandat en janvier 2020, a également vu sa popularité croître à la faveur de la gestion de l’épidémie et du bras de fer avec l’OMS, dont Taïwan est injustement écarté. En Chine enfin, après une période délicate, Xi Jinping a habilement récupéré à son profit la gestion de l’épidémie. Mais les critiques n’en furent pas moins sévères, en interne, et rappelons que le retour sur le devant de la scène du président chinois s’est faite au détriment du limogeage des responsables du parti dans la ville de Wigan et la province du Hubei. Peut-être les sociétés asiatiques ont-elles aujourd’hui plus confiance dans leurs dirigeants dans la gestion de cette crise que dans les pays occidentaux, mais cette confiance se gagne.

Lors d’une prochaine épidémie, l’Occident saura-t-il apprendre de ses erreurs ? Quant aux pays asiatiques, leur modèle pourra-t-il être résilient à chaque épidémie ?

Par leur gestion réussie, globalement, de la pandémie, les pays asiatiques figurent parmi les « vainqueurs » de la crise, là où les pays occidentaux sont les perdants, avec des effets sur l’économie, mais surtout l’image renvoyée dans le reste du monde. À ce titre, la « diplomatie du masque » et désormais du vaccin, dans laquelle la Chine excelle (mais les autres puissances asiatiques ne sont pas en reste), offre le spectacle d’un modèle performant et attractif, en particulier dans les sociétés en développement. Face à cela les sociétés occidentales ont perdu un crédit précieux, et il sera de fait indispensable d’apprendre de ces erreurs.


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