ANALYSES

Grande marée migratoire en Amérique latine

Presse
24 février 2021
Une grande marée migratoire bat les frontières des Amériques. La longue crise des années 2008-2010 avait amorcé un mouvement. Elle a au fil des ans pris du gras. Nourrie par la dilution sociale du Venezuela, la perpétuation du sinistre économique et politique de Haïti et du Honduras. Et aujourd’hui par la détérioration générale provoquée par les effets de la pandémie du coronavirus.

Les oubliés traditionnels du développement subissent une double voire une triple peine. Expulsés par l’insécurité, la précarité, la peur du lendemain les mal lotis sont ballotés par les vents mauvais, d’une frontière à l’autre. Les rumeurs les poussent tantôt vers le Nord, les États-Unis, l’étoile polaire comme on les appelle en Colombie, qui donnerait la bonne direction. Tantôt vers le Brésil, le Chili pays qui à un moment où à un autre ont, ont eu, une image plus attractive. Bien souvent ils échouent là où ils peuvent, pourvu que ce soit loin de leur terre de souffrance. Et très, trop ? souvent ils sont mal reçus des États-Unis au Brésil en passant par le Chili, l’Équateur et le Pérou.


La chronique des évènements courants interpelle l’entendement, les certitudes que l’on pouvait avoir. A la veille de la crise de 2008 les pays latino-américains interpellaient l’Europe, coupable de se fermer. Alors que les Amériques avaient dans le passé accueilli, sans conditionnalité, des centaines de milliers des siens. Les Etats-Unis étaient aussi montrés du doigt, mais cela paraissait dans l’ordre des choses. Barak Obama avait expulsé comme jamais ne l’avaient fait ses prédécesseurs. Donald Trump, avait confirmé la tendance de façon tonitruante, insultante et ubuesque.

Entre temps les vents mauvais se sont faits encore plus violents. Les Honduriens en octobre 2020 puis en février 2021, ont pris la route en caravane vers l’Eldorado de toujours, vers les États-Unis, plein nord. Par centaines de milliers les Vénézuéliens tournent en rond depuis des mois. Plusieurs centaines, ont tenté de quitter la Bolivie pour le Chili fin janvier, début février. Plus au Nord, des Haïtiens, accompagnés de quelques ouest-africains et ressortissants pakistanais ont afflué aux confins du Brésil et du Pérou.

L’accueil a été partout le même. Armées et polices ont été mobilisées pour contenir les pressions migratoires. Un mur policier a repoussé sans ménagement au Guatemala, le 17 janvier dernier, la caravane hondurienne. Au cas où, la garde nationale mexicaine avait été mobilisée sur le « limes » séparant Mexique et Guatemala. A plus de 3800 mètres d’altitude au poste frontière de Cochrane les carabiniers chiliens ont bloqué avec rudesse le passage aux marcheurs vénézuéliens, accompagnés eux de quelques colombiens et péruviens. Deux de ces malheureux sont morts de froid. Scénario identique en tous points sur le pont de l’amitié, au nom paradoxal, « unissant » le Brésil au Pérou. Les Haïtiens, chassés par la misère brésilienne, n’ont bénéficié d’aucune passe droite. Ils étaient toujours le 23 février côté brésilien.

Bien sûr, le nouveau président des États-Unis, Joe Biden, s’est dit ouvert à un traitement des questions migratoires, plus humain. Bien sûr, l’Église catholique comme souvent fait œuvre de charité. Bien sûr il y a aussi une solidarité laïque, celle du maire d’Assis sur la frontière péruvienne ; qui a ouvert deux centres d’accueil d’urgence. Mais une ou deux hirondelles n’ont jamais fait le printemps.

La frontière des Etats-Unis reste avec Joe Biden imperméable. Même si la prolongation du Mur, idée fixe de Donald Trump, n’est plus à l’ordre du jour. Elle s’entrouvre pour quelques postulants à l’asile. Les sans papiers bénéficient d’un sursis à expulsion de 100 jours. Le temps pour la nouvelle administration de se faire une religion sur la politique migratoire. Comme l’a signalé AMLO, Andrés Manuel Lopez Obrador, président aztèque, au cours de l’une de ses dernières mañanerasattendez un peu avant de vous précipiter sur les berges du Rio Bravo. A ce jour seuls 25 demandeurs d’asile, inscrits sur le protocole de protection des migrants, mais contraints d’effectuer jusque là leurs démarches au Mexique, ont été admis à San Diego, en territoire nord-américain. Une queue de plusieurs centaines de postulants s’est tout aussitôt formée, en dépit du froid.

Le Chili n’a annoncé rien d’autre qu’une fermeture de sa frontière de Pisagua avec la Bolivie aux migrants, de Colombie, Pérou et Venezuela. Le président Piñera par décret a confié à l’armée la gestion des migrations. Des dispositifs d’expulsion immédiate ont été pris par le ministre de l’intérieur. Refoulés ils ont pris la route. Pour tenter leur chance plus au nord. Ou plus au sud pour certains, vers l’Argentine. La Bolivie accorde un permis de séjour provisoire, de 15 jours, aux migrants attestant qu’ils ne sont là, en Bolivie, que de passage. Equateur et Pérou ont de leur côté militarisé leurs frontières le 26 janvier. Le Pérou a déployé une cinquantaine de blindés dans la région de Tumbes.

Ici, aux États-Unis, et là au Chili et au Pérou, le spectre du Covid-19 a été agité pour justifier les mesures prises. Des annonces ont été faites par Joe Biden le 2 février. Les ministres des affaires étrangères de Bolivie et du Chili se concertent. Longtemps épargné par les poussées migratoires et ses conséquences humanitaires et morales, la xénophobie, le sous-continent latino-américain doit désormais affronter un cactus migratoire d’autant plus complexe que d’autres, en Afrique, en Asie, en Europe, s’y sont frottés, s’y attèlent, sans apporter des réponses satisfaisantes.
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