ANALYSES

Le marché des batteries : quels enjeux et perspectives pour l’Union européenne ?

Interview
25 février 2021
Le point de vue de Pierre Laboué


Le marché des batteries, en raison de toutes les opportunités qu’il offre, est en train de devenir un nouveau lieu de concurrence internationale. Loin derrière la Chine, l’Europe semble aujourd’hui décidée à rattraper son retard dans ce domaine dorénavant si stratégique. Le point avec Pierre Laboué, chercheur à l’IRIS au sein du Pôle Climat, énergie, sécurité, à l’occasion de la parution de l’étude « L’alliance européenne des batteries : enjeux et perspectives européennes », réalisée dans le cadre de l’ Observatoire de la sécurité des flux et des matières énergétiques, soutenue par la DGRIS du ministère des Armées.

Quels sont les enjeux stratégiques des batteries ? Pourquoi s’agit-il d’une bataille industrielle que l’Europe ne peut pas perdre ?

Les technologies des batteries constituent un des piliers de la transition énergétique. Les batteries permettent d’électrifier le secteur des transports et d’intégrer les énergies renouvelables au mix énergétique. Ces deux axes de développement sont au cœur de la stratégie de l’Union européenne pour atteindre la neutralité climatique à l’horizon 2050.

Le marché des batteries représente un enjeu économique majeur. La demande mondiale en batteries en GWh devrait être multipliée par 10 entre 2020 et 2030. En valeur, le seul marché européen pourrait représenter 250 milliards d’euros par an dès 2025, d’après les chiffres retenus par la Commission européenne. De plus, la batterie est un enjeu stratégique pour l’industrie automobile : elle représente entre 30 et 40% du prix d’un véhicule électrique.

Mais le déploiement de cette technologie pose d’importants risques industriels. De nombreux groupes chinois, qui n’avaient pas réussi à s’imposer sur le véhicule thermique, sont plus avancés que leurs concurrents européens dans le domaine du véhicule électrique. L’électrification des transports pourrait inverser les rapports de forces sur le marché automobile mondial en faveur de la Chine et accélérer la désindustrialisation européenne.

Le développement d’une industrie européenne des batteries est donc une priorité pour permettre à l’UE d’assurer sa transition énergétique et défendre ses intérêts économiques.

Quels sont les principaux acteurs qui dominent ce marché ?

Simon Moores, directeur général du cabinet Benchmark Mineral Intelligence (BMI), a mis en évidence le poids de la Chine dans la chaîne de valeur mondiale de l’industrie des batteries lors de son audition devant le comité à l’Énergie et aux Ressources naturelles du Sénat américain en juin 2020.

Près des trois quarts, des capacités mondiales de production de cellules de batteries étaient localisées en Chine en 2019. La Chine compte déjà des leaders mondiaux, comme CATL, capables de faire concurrence à des groupes comme Panasonic (Japon) et LG Chem (Corée du Sud). Cette domination industrielle va plus loin et s’étend également à la fabrication des composants clés des cellules de batteries : les deux tiers des capacités de production mondiale de cathode et d’anode sont situés en Chine.

La Chine s’est également imposée en amont de la chaîne de valeur. Les batteries sont au cœur d’une nouvelle géopolitique des matières premières. Les batteries NMC, très utilisées par l’industrie automobile, contiennent par exemple du nickel, du manganèse et du cobalt au niveau de la cathode, du graphite au niveau de l’anode et du lithium. 80% des capacités de raffinage de ces 5 minerais pour l’industrie des batteries étaient concentrées en Chine en 2019, d’après le cabinet BMI. De plus, les entreprises minières chinoises ont mené d’importantes acquisitions à l’étranger pour sécuriser leurs approvisionnements. La production minière de la République démocratique du Congo, premier producteur mondial de cobalt, est contrôlée en grande partie par des acteurs chinois. China Molybdenum Co (CMOC) a racheté 95% des parts de la mine de Kisanfu à l’Américain Freeport-McMoRan en décembre 2020. L’entreprise chinoise détient également 80% des parts de la mine de Tenke Fungurume depuis 2019.

 

Quelle est la stratégie de l’UE pour s’imposer sur ce marché et quelles sont ses chances de réussir ? 

La Commission européenne a lancé en 2017 une Alliance européenne des batteries pour bâtir une chaîne de valeur intégrée sur le sol européen. Deux projets importants d’intérêt européen commun (PIIEC) ont été approuvés. Le premier date de décembre 2019. D’un montant de 3,2 milliards d’euros, il réunit sept États membres et dix-sept entreprises. Le deuxième, lancé en janvier 2021, s’élève à 2,9 milliards d’euros et réunit quarante-deux entreprises de douze pays membres. Ces dispositifs autorisent de manière dérogatoire des États membres de l’UE à combler des défaillances du marché et subventionner des industriels.

Le soutien de la Commission européenne au développement des batteries porte ses fruits. Quinze projets d’usines de batteries Li-on ont été lancés en Europe avec une capacité de production de 500 GWh d’ici 2030. Ces projets regroupent des méga-usines lancées par des industriels européens, comme ACC (Total/PSA), Northvolt, et des groupes étrangers, à l’instar de Tesla, CATL et LG Chem. Alors qu’elle ne représentait que quelques pourcents de la production mondiale de batteries en 2019, l’Europe pourrait être en mesure de répondre à sa demande intérieure dès 2025.

Mais de nombreux défis restent à relever : la production européenne devra être compétitive pour résister à la concurrence chinoise. De plus, la recyclabilité des batteries demeure un défi majeur pour l’industrie européenne. Enfin, de nouvelles chimies sont en développement et pourraient potentiellement bouleverser le marché mondial. C’est notamment le cas de la batterie tout solide, qui constitue la priorité des efforts de R&D, de spécialistes comme Saft (Total). C’est d’ailleurs pour prendre un avantage décisif dans la course à la batterie du futur que le deuxième PIIEC de l’UE a été baptisé « Innovation européenne dans la batterie ».
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