ANALYSES

« Joe Biden devra cibler les inégalités et les discriminations »

Presse
20 janvier 2021
Joe Biden, avant même sa prise de fonction, a annoncé un certain nombre de propositions, parmi lesquelles une loi sur le salaire minimum à 15 dollars. Une présidence progressiste est-elle envisageable ?

D’une part, l’aile progressiste du Parti démocrate a joué un rôle majeur dans la victoire de Biden, aux côtés des militants associatifs, et en taisant les divisions au sein du parti. Et donc, d’autre part, elle va demander des comptes au nouvel exécutif sur différents sujets (qui sont d’ailleurs des promesses de campagne) : environnement, inégalités de santé, réforme fiscale en faveur de la petite classe moyenne, etc. De plus, Biden dispose d’une majorité à la Chambre et, ce qui est aussi inespéré, au Sénat, ce qui lui ouvre de grandes perspectives sur le plan législatif. Pour autant, il va vouloir des lois bipartisanes, non seulement parce que c’est sa manière de faire de la politique, mais aussi dans le but de diviser un peu plus les républicains en se ralliant quelques modérés et en marginalisant les trumpistes.

Pour autant, le nouveau président a ­décidé d’ignorer l’aile gauche au sein de son administration. Comment l’expliquez-vous ?

C’est en effet ce que montrent, pour l’heure, les nominations de ministres. Cela rejoint son idée de ne pas crisper les républicains modérés et ajoutons que, jusqu’au 5 janvier, la victoire des deux sénateurs démocrates en Géorgie était plus qu’incertaine : un Sénat républicain faisait courir le risque d’une non-validation de ministres ­socialistes. Un bémol : il a récemment dit qu’il avait envisagé de prendre Bernie Sanders dans son gouvernement, avant de renoncer parce que sa présence au Sénat est précieuse. Nous verrons s’il met plus la barre à gauche dans les nominations à venir avec le « spoil system » (remplacement des hauts responsables d’administration et des ambassadeurs).

Son mot d’ordre de « retour à la normale » est-il le bon remède pour une société extrêmement polarisée, sachant que la « normale » des deux mandats de Barack Obama a conduit à l’élection de Trump ?

Biden a intérêt à entretenir le récit de l’Amérique unie, solidaire, apaisée. Dans les actes, sa politique devra cibler les inégalités et discriminations dans l’accès aux droits et aux ressources. Mais Biden n’est, pas plus qu’Obama, un homme providentiel. Toutefois, si Trump a été en partie élu par les anti­-Obama, ce n’est pas pour autant qu’il faut donner raison à cette Amérique raciste qui, on le voit, est encore plus galvanisée après quatre années de Trump ! L’ « homme blanc en colère » n’est pas la victime qu’il prétend être.

Faut-il s’attendre à ce que les mouvements sociaux (Black Lives Matter pour ce qui concerne la question du racisme ou Sunrise pour celle du changement climatique) mettent la « pression » sur l’administration Biden ?

Oui, il faut s’y attendre et ce sera logique. C’est grâce à l’immense mobilisation des mouvements antiracistes, et du militantisme des femmes noires en particulier, que Biden gagne les grandes villes de la Rust Belt et arrache la Géorgie. En outre, l’opposition à Trump, dès 2017, s’est faite d’abord dans la rue (Women’s Marches, défenseurs du climat…) et ces mouvements ont su non seulement construire un projet commun, mais aussi capitaliser sur un savoir-faire qu’ils comptent mettre en pratique à Washington et dont Biden aurait tort de se passer.
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