ANALYSES

Le travail forcé, ce très vilain secret qui se cache au cœur du développement de l’énergie solaire

Presse
13 janvier 2021
Interview de Emmanuel Lincot - Atlantico
On a évoqué les Ouïghours pour le marché de la tomate, du textile et maintenant pour les panneaux solaires. Pourquoi associe-t-on travail forcé et panneaux solaires ? Quels problèmes éthiques posent la production du silicium polycristallin utilisé pour construire les cellules photovoltaïques ?

Rappelons tout d’abord que le silicium polycristallin, comme les terres rares, abonde en Chine et plus particulièrement dans le nord-ouest du pays, le Xinjiang. Son utilisation est nécessaire à la fabrication des téléphones cellulaires, à certaines composantes de missiles militaires mais aussi aux panneaux solaires. C’est en 1992 que la production chinoise des terres rares dépasse celle des États-Unis. Le dirigeant Deng Xiaoping déclare alors :« Il y a le pétrole en Arabie Saoudite, il y a les terres rares en Chine ». Il ne croyait pas si bien dire. La production de silicium polycristallin est donc stratégique. Cependant, l’on sait aussi que dans le cycle de vie d’un panneau solaire, la partie la plus énergivore est l’extraction et la purification du silicium. Si cette opération est menée à base de charbon, le bilan est forcément mauvais en termes de pollution. En outre, les poussières de silice cristalline peuvent induire une irritation des yeux et des voies respiratoires, des bronchites chroniques et une fibrose pulmonaire irréversible nommée silicose. Cette atteinte pulmonaire grave et invalidante n’apparaît en général qu’après plusieurs années d’exposition et son évolution se poursuit même après cessation de l’exposition. Vous comprenez pourquoi les Ouïghours sont sollicités par les autorités chinoises pour ces tâches à la fois ingrates et dangereuses.

Quel est l’objectif de la Chine en voulant accaparer la production de panneaux solaires ?

Pékin représente 70 % de la production photovoltaïque dans le monde. L’objectif pour le gouvernement chinois étant de développer un secteur économiquement très prometteur en termes de création d’emplois mais aussi pour atteindre une autonomie énergétique. La Chine possède en effet le parc photovoltaïque le plus important au monde, avec une puissance installée totale de 176,1 GWc en 2018, soit 35 % du total mondial. La France, par comparaison, est très en retard dans la production d’énergie photovoltaïque. L’accord de principe signé entre Européens et Chinois sur les investissements, le 30 décembre dernier, porte notamment sur la possibilité pour les groupes européens d’accéder plus facilement aux secteurs du solaire et de l’éolien sur le marché chinois. Au vu des enjeux, on peut naturellement en douter.

Ce monopole de la Chine sur le secteur peut-il remettre en question l’ambition des plans d’énergie prévus par les Occidentaux, et notamment celui de Joe Biden ?

les Occidentaux ne renonceront pas à leur mue écologique. Au reste, Biden fera revenir les Etats-Unis dans les accords de Paris de la Cop-21. Le dilemme auquel ils sont exposés est le suivant : la rivalité avec la Chine se fait dans l’interdépendance. La réciproque est tout aussi vraie. Jamais l’économie chinoise n’a été aussi dépendante des marchés extérieurs et de la technologie occidentale. Pour l’heure, chaque puissance essaie de gagner du temps. Mais l’issue à ce dilemme, comme le rappelle Graham Allison, n’a rarement été un autre horizon que celui de la guerre.
Sur la même thématique
Quel avenir pour Taiwan ?