ANALYSES

Violences à Washington : « Le projet de Biden sera de réconcilier l’Amérique, alors que Trump a été le président du chaos »

Presse
14 janvier 2021
Joe Biden a condamné une « insurrection », d’autres évoquent un coup d’Etat. Comment qualifiez-vous cette intrusion violente des pro-Trump au Capitole ?

C’est bien Trump qui a appelé ses partisans à marcher sur le Capitole. Et après les scènes que l’on a vues, le terme d’« insurrection » n’est pas trop fort. On a assisté à une tentative de putsch, il ne faut pas minimiser les faits ni leur ampleur. Ce sont des faits de violence politique, qui ont fait quatre morts, et qui, par les images et les slogans, ont un pouvoir « performatif » important : cela va sans doute produire des effets au sein des Etats-Unis, mais aussi à l’international.

A quoi s’attendre maintenant, pour les jours et semaines à venir ?

La Maison-Blanche a publié un communiqué dans lequel Trump indique que la transition avec son successeur se fera de manière ordonnée, mais il ne reconnaît toujours pas sa défaite et persiste à dire qu’il a gagné l’élection. Dès lors, et surtout avec Trump, on peut s’attendre à tout ! On l’a vu plusieurs fois, notamment en 2017 à l’occasion des émeutes à Charlottesville : il avait condamné les violences commises mais encouragé les groupes d’extrême droite.

Au Capitole, c’est allé très loin, alors peut-être craint-il des poursuites judiciaires. Mais CNN disait ce jeudi matin qu’il ne fallait pas voir cette situation comme une fin, mais comme un début. Donc il y aura peut-être d’autres événements, encouragés et soutenus par Trump. Il lui reste deux semaines de mandat avant l’investiture de Joe Biden, il n’est pas exclu qu’il fasse de nouveaux appels à des rassemblements, voire à la violence. Il n’a d’ailleurs pas condamné l’invasion du Capitole, et jamais il ne condamnera l’action de ces supporteurs, dont il sait qu’ils lui vouent une ferveur totale.

Quel avenir – politique notamment – Donald Trump peut-il espérer ? Quel poids peut-il conserver dans le parti républicain ?

Des voix s’élèvent pour recourir au 25e amendement, le démettre de ses fonctions et l’empêcher de se présenter à la présidentielle de 2024. Mais à moins de deux semaines de la fin de son mandat, est-ce vraiment réalisable ? Et cela n’alimenterait-il pas la rhétorique anti-establishment chère à Trump ?

J’ignore les suites judiciaires. En revanche, sur le plan politique, il n’est pas dit que le parti républicain le mette à l’écart. Une frange le soutient toujours : sept sénateurs ont voté après l’attaque du Capitole contre la certification des votes en Pennsylvanie, et il a encore des soutiens à la Chambre des représentants. La raison est simple : Trump représente un réservoir de 74 millions de voix, c’est sa grande force. Ses électeurs expriment un vote d’adhésion : ils adhèrent à son projet de société. Reste à savoir ce que Trump voudra faire à l’issue de son mandat. Voudra-t-il conserver son influence au sein du parti ? Ou bien – et c’est une hypothèse forte – le trumpisme va-t-il continuer d’exister en dehors ? Notamment dans la sphère médiatique, avec pourquoi pas la création par Trump d’un nouveau média, d’une nouvelle université ? Il ne faut pas oublier que Donald Trump est un homme d’affaires, qu’il est endetté, et qu’il a besoin de raviver son business et faire fructifier sa marque. En clair, il peut, s’il le décide, pourrir la vie du parti.

Quel est avenir pour les républicains désormais ?

C’est un parti divisé, fragilisé, qui risque d’être fragilisé encore quelque temps, et ce alors que Trump avait réussi à l’unir pendant quatre ans. Il y a dans la politique de Trump un socle idéologique républicain, mais le chèque en blanc donné aux conspirationnistes, le recours aux fake news et aux mensonges politiques, la déstabilisation de la démocratie sont autant de choses dont le parti républicain, à long terme, a tout intérêt à se débarrasser. Parce que dans les urnes, cela ne paie pas. On le voit en Géorgie, où Biden a été élu et rafle deux sièges au Sénat. Les républicains perdent un Etat qui leur était historiquement acquis. A trop vouloir satisfaire les électeurs pro-Trump, il y a un risque de se confronter à une mobilisation électorale d’autant plus forte.

Le défi du parti républicain est de réussir à s’unifier derrière un projet de société qui reprenne les contenus traditionnels de la droite républicaine et qui séduise les pro-Trump, tout en se détachant du trumpisme. Car dans moins de deux ans, il y aura les élections de mi-mandat, où la Chambre des représentants sera intégralement renouvelée, où un tiers des sénateurs remettront leur siège en jeu. Et les républicains ne peuvent pas se priver de cet électorat acquis à Trump. Ils sont sur la corde raide.

Ces incidents au Capitole mettent-ils à mal le président élu Joe Biden, ou l’installent-ils dans son rôle de Commander in chief ? Et parviendra-t-il à restaurer la confiance et l’unité ?

Cela lui met une pression supplémentaire, mais il est prêt. C’est un fin limier de la politique, il s’est entouré d’une équipe béton, qui n’a rien à voir avec les pieds nickelés dont Trump s’était entouré.

Et ce n’est pas la première fois que Biden appelle à l’unité, c’est d’ailleurs en partie sur l’anti-Trumpisme qu’il s’est fait élire. Son grand discours d’unité, il l’a prononcé au moment de sa victoire en novembre, appelant à la solidarité, à l’union nationale. Des notions que l’on a retrouvées dans son discours prononcé mercredi soir. Tout le projet de Biden va être de réconcilier cette Amérique extrêmement divisée et polarisée par Trump.

Au contraire, Trump a prospéré sur les clivages : il a été le président du chaos, n’a cessé d’attiser les violences. La société américaine a rarement été aussi divisée. Joe Biden ne sera pas l’homme providentiel, mais va donner une dynamique pour refaire de l’Amérique une nation unie, et cela prendra du temps. D’autant qu’il va devoir composer avec un parti démocrate lui aussi divisé, entre son aile centriste et son aile progressiste. Ce sont des divisions que l’on a moins vues ces dernières semaines, mais qui vont vite réapparaître.

La démocratie américaine est-elle abîmée par cette intrusion au Capitole, et par cette rhétorique de l’élection volée martelée par Trump ?

Forcément, surtout pour une Nation qui se pose en première démocratie de la planète et qui a offert ce piètre spectacle. Mais la démocratie américaine a 250 ans, et elle en a vu d’autres ! Et le tableau n’est pas si sombre : il ne faut pas assimiler les supporteurs d’extrême droite néonazie qui ont attaqué le Capitole à l’ensemble de l’électorat trumpiste.

En outre, alors que Trump n’a eu de cesse de vouloir détruire la démocratie américaine depuis quatre ans, elle a résisté et a les moyens de se remettre. Elle a montré qu’elle était forte, dotée d’institutions solides. Preuve en est, après l’attaque, le Congrès a certifié la victoire de Biden. Et l’autre preuve de la vitalité démocratique des Etats-Unis, c’est l’énorme participation à l’élection présidentielle, qui a bénéficié d’un fort militantisme de terrain.
Sur la même thématique