ANALYSES

Politique étrangère : le bilan de Barack Obama pourrait bien plomber Joe Biden

Presse
18 novembre 2020
Comment les pays asiatiques, et notamment ceux en lutte avec l’impérialisme chinois, ont-ils accueilli la victoire de Joe Biden ?

Barthélémy Courmont : Contrairement à l’Europe occidentale qui depuis trois décennies prend fait et cause pour les candidats démocrates, les pays asiatiques sont moins passionnés pas l’élection du président américain, et attendent des actes avant de porter leur jugement. Rares sont les candidats à la fonction suprême américaine qui ont suscité un engouement en Asie, et à ce titre Barack Obama, véritable icône en Indonésie avant même d’occuper la Maison Blanche, fait figure d’exception. Par ailleurs, on note des différences très nettes entre les différents pays asiatiques, y compris ceux qui se montrent inquiets de la montée en puissance chinoise. Difficile ainsi de noter des points communs entre le Japon et la Corée du Sud, ou entre le Vietnam et l’Indonésie sur ces questions – comme sur tant d’autres d’ailleurs. Il faut ajouter à cela le fait que Joe Biden est « connu » en Asie, du fait de ses fonctions dans l’administration Obama, et que c’est aux résultats de ce mandat que son image est associée. La victoire de Joe Biden n’a pas, en Asie, soulevé un enthousiasme particulier, et à même dans certains cas fait grincer les dents, les résultats de la politique asiatique de Barack Obama n’étant pas jugés satisfaisants.

Quels souvenirs ont-ils gardé de l’administration Obama ?

Barack Obama fut le plus « asiatique » de tous les présidents américains, d’abord en raison d’une partie de son enfance passée en Indonésie, ensuite et surtout du fait de sa stratégie du pivot vers l’Asie, véritable leitmotiv de sa politique étrangère. Il participa activement aux sommets de l’APEC, visita de nombreux pays asiatiques, dont le Laos et le Vietnam, formula un pivot décliné sous la forme d’accords stratégiques avec de nouveaux partenaires autant que des alliés traditionnels, et instaura un accord d é libre échange, le TPP, auquel adhérèrent plusieurs pays asiatiques. Pour autant, les résultats de ce repositionnement en Asie sont assez mitigés. En dépit de ses efforts, l’influence des Etats-Unis en Asie ne s’est pas renforcée sous l’administration Obama, la Chine a poursuivi sa montée en puissance et Washington n’a pas trouvé les clefs pour en ralentir la progression. Les démocrates reprochent à l’administration Obama le manque de soutien aux manifestants hongkongais en 2014, à l’occasion du mouvement des parapluies, et les rivaux de Pékin reprochent à Washington son manque d’initiative sur des dossiers comme les différends maritimes en mer de Chine méridionale, les Ouighours, les contentieux entre la Chine et le Japon, ou encore la question de Taïwan. Le bilan de l’administration Trump n’est pas mieux fourni, mais le ton du 45eme président américain dans son bras de fer avec Pékin reçut un écho positif dans les sociétés asiatiques qui se méfient de la Chine. On se souvient aussi que Donald Trump fut le premier président américain à s’entretenir au téléphone avec le président taïwanais, et qu’il fut le premier à rencontrer le dirigeant nord-coréen. Cela ne signifie pas que les Asiatiques regretteront Donald Trump, mais ils ne voient pas nécessairement dans la victoire de Joe Biden un motif de satisfaction, l’administration Obama ayant parfois laissé un souvenir amer.

Le bilan de Barack Obama pourrait-il peser sur Joe Biden qui a été son vice-président ?

En matière d’image, indiscutablement. En bien et en mal d’ailleurs. Biden peut ainsi surfer sur la popularité de Barack Obama, mais il doit dans le même temps se méfier de ne pas être trop assimilé au bilan d d’la politique étrangère de son ancien supérieur. Pour autant, Joe Biden ne fut pas un acteur décisif dans la politique asiatique de Barack Obama, pour laquelle ce dernier et sa secrétaire d’Etat Hillary Clinton jouèrent les principaux rôles. Et comme les pays asiatiques sont pragmatiques, ils attendront avant de juger le travail de Joe Biden. Mais comme les dossiers sont nombreux et les défis importants, il n’y aura pas de round d’observation.

Susan Rice, ancienne conseillère à la sécurité nationale d’Obama, est pressentie pour prendre la tête du Secrétariat d’Etat. Pourquoi cette éventuelle nomination fait-elle déjà grincer des dents ?

De nombreux observateurs asiatiques estiment, à tort ou à raison, que Susan Rice n’a la sales épaules suffisamment larges pour s’opposer frontalement à la Chine, et qu’elle s’intéresse assez peu à l’Asie. Là aussi, il faudra d’abord voir si elle est nommée au poste de secrétaire d’Etat, et quelle sera son attitude si c’est é cas. En 2009, Hillary Clinton avait effectué sa première visite officielle comme secrétaire d’Etat en Asie (c’était d’ailleurs une première) en visitant successivement le Japon, la Corée du Sud, à Chine et l’Indonésie. Si elle prend ce poste aussi prestigieux que stratégique compte tenu des enjeux, Susan Rice devra également très vite montrer des intentions pour rassurer les alliés inquiets de Washington, et définir une politique asiatique qui ne soit pas une stérile politique anti chinoise. L’enjeu est de taille.
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