ANALYSES

Première femme vice-présidente, Kamala Harris marque « un vrai changement pour l’Amérique »

Presse
11 novembre 2020
Avec l’élection de Joe Biden annoncée le 7 novembre par les médias américains, Kamala Harris s’apprête à devenir la première femme vice-présidente aux Etats-Unis. Est-ce vraiment un nouveau jour pour l’Amérique?

Marie-Cécile Naves, directrice de recherche à l’IRIS. Il y a tout d’abord ce symbole qui est très fort voulu par Joe Biden. Mais deux éléments doivent aussi être pris en compte. Tout d’abord la représentativité, qui est l’un des axes de Biden, lorsqu’il déclare par exemple que Kamala Harris représente l’Amérique d’aujourd’hui et l’Amérique de demain, c’est-à-dire une Amérique dans laquelle les femmes sont amenées à exercer plus de responsabilités et une Amérique qui sera majoritairement multiculturelle. L’autre point, c’est l’agenda, qui va se traduire par le programme politique. Il ne suffit pas d’avoir une femme noire à l’un des plus hauts postes de l’Etat pour que l’agenda change. Il faut que les choses suivent. Mais si tous ces éléments sont réunis, et il semblerait bien que cette dynamique soit enclenchée, ça marquera effectivement un vrai changement pour l’Amérique.

Symboliquement, que représente le parcours et la voie de Kamala Harris dans une Amérique divisée?

Kamala Harris représente l’Amérique métissée, l’Amérique qui permet aux enfants d’immigrés de réussir. Elle représente la difficulté que peuvent rencontrer les femmes pour accéder à ces niveaux de pouvoir. Quand elle est interrogée sur son parcours, elle répond qu’on lui a toujours dit « non », auquel elle ajoute cette phrase marquante: « J’en prends au petit-déjeuner ». Par rapport aux démocraties occidentales en général, un plafond de verre est brisé de manière magistrale avec cette élection. Ce n’est pas seulement Joe Biden qui l’a choisie, c’est aussi au moins 75 millions d’Américains qui votent pour elle, ou en tout cas qui ne sont pas dépités par le fait qu’elle soit là. Spécifiquement aux Etats-Unis, et d’ailleurs elle l’a dit dans son discours de victoire prononcé le 7 novembre, elle a ce côté « il faut se battre pour réussir », « n’écoutez pas les obstacles », « croyez en vos rêves ». Le tout porté par un discours progressiste, une réthorique de solidarité et d’engagement au collectif.

Jusqu’à quel point Kamala Harris a-t-elle pu contribuer à l’élection de Joe Biden?

Elle a été très active sur le terrain, dans cette mobilisation pour s’inscrire sur les listes électorales et aller voter. Et au-delà de Kamala Harris, c’est l’engagement d’un militantisme de terrain de l’ensemble du parti démocrate, sur l’aile gauche comme sur l’aile centriste. Elle s’est inscrite dans ce mouvement qui a été très fort chez les femmes noires, qui se sont extrêmement mobilisées pour Joe Biden. Et elle n’a pas été la seule à porter cet engagement. En Géorgie, Stacey Abrams a été sans doute décisive pour le basculement de cet Etat clé. Il y eu peut-être un effet d’entraînement auprès d’un militantisme féminin dans les mouvements comme #SayHerName ou Black Lives Matter pour encourager les gens à aller se débarrasser de Donald Trump d’une part, et à promouvoir un autre modèle de société d’autre part.

Quel rôle ont joué spécifiquement les électrices américaines dans la victoire de Joe Biden?

Honnêtement, il très difficile de se prononcer à ce stade. Les sondages sortis des urnes sont à prendre avec beaucoup de précautions, au vu de ce qui s’est passé en 2016, où ils ont été beaucoup corrigés après. Ce qui est probable, c’est que les femmes noires ont voté très massivement pour Joe Biden, et se sont sans doute plus déplacées qu’en 2016.

Peut-on espérer que la présidence de Joe Biden soit une présidence féministe?

Il y a plusieurs éléments à prendre en compte. Il y a la promotion de femmes à des postes à responsabilité important et ensuite le programme politique. Comment les droits des femmes vont être appréhendés dans cette nouvelle mandature? Pas mal de promesses ont été faites sur l’accès à la santé par exemple, qui a été beaucoup fragilisé par Trump. Mais ce qui est intéressant dans le programme de Joe Biden, c’est qu’il est très conscient que les femmes et notamment les femmes des minorités ethniques sont plus fragilisées que l’individu lambda. Elles sont plus victimes des problèmes d’accès à la santé, de chômage ou encore inégalités salariales. Donc on voit apparaître dans son programme un agenda inclusif, qui passe par la prise en compte de ces inégalités structurelles, communautaires et genrées. Il veut faire des choses spécifiques pour les femmes en prison, travailler sur le fait que les femmes aient autant accès que les hommes à la création de petites entreprises, il porte ce côté très « gender conscious » et « color conscious » dans son programme. Ce qui est important parce que l’objectif est de coller à son idée de société unie, de société réconciliée. Par ailleurs, il va être beaucoup poussé par son aile gauche à gauchir son agenda. Malgré une opposition républicaine qui sera forte, il va être poussé par ce militantisme de terrain, dont il sait très bien qu’il leur doit une partie de sa victoire.

Kamala Harris a déclaré qu’ »elle ne serait pas la dernière ». Cette élection au poste de vice-présidente marque-t-elle le début d’un mouvement de fond pour les femmes politiques américaines?

Ce mouvement était amorcé avant elle. Le record de femmes démocrates élues au Congrès en 2018, c’était avant Kamala Harris. Le féminisme qui a été la première force à s’opposer à Trump dès janvier 2017, c’était avant Kamala Harris. Evidemment, elle a l’un des deux plus hauts postes possibles, donc on peut s’attendre à ce qu’il y ait un effet d’entraînement. Mais ce n’est pas elle toute seule qui conduit ce mouvement qui est général en faveur de la place des femmes dans la société, et notamment des femmes racisées.
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