ANALYSES

La faim d’eau potable

Presse
9 octobre 2020
Chaque année, le 16 octobre consacre la journée mondiale de l’alimentation. Les agences onusiennes communiqueront sur ce drame trop souvent oublié de la faim. Celle-ci concerne encore plus de 800 millions de personnes, un habitant sur dix de la planète. Éradiquer la faim constitue l’objectif numéro 2 de l’Agenda 2030 du développement durable. Malheureusement, la pandémie de la Covid-19 et ses immenses répercussions socio-économiques sur les plus vulnérables compromettent la faisabilité d’un tel objectif. Qui pouvait d’ailleurs apparaître comme trop ambitieux. Certes la faim régresse en valeur relative (c’était 30 % de l’humanité il y a cinquante ans !), mais se stabilise en valeur absolue depuis le début de ce siècle autour de cette masse de 800 millions. En cause ? Croissance démographique, impacts du changement climatique, violences et conflits, inégalités de richesse… Le manque de nourriture pour certains (très nombreux !) a toujours existé. Cette triste réalité, souvent oubliée, touche encore un Africain sur quatre. Plus que jamais, l’agriculture, l’aquaculture et la pêche s’avèrent donc vitales comme activités pour nourrir le futur.

Le premier aliment et une des premières causes de mortalité du monde. Dans ce contexte, rappelons que l’eau est l’élément le plus essentiel à la vie. Evidence parfois méconnue, mais le premier des aliments consommés dans le monde est bien liquide. La question de l’eau potable est cruciale dans l’équation de la sécurité alimentaire et du développement humain. Pour le dire autrement, le plus grand danger pour l’individu est d’avoir soif. L’eau potable constitue aussi notre source en minéraux : quand nos besoins en potassium, magnésium ou sodium viennent à manquer, la santé de chacun s’en trouve fragilisée. Or en 2020, dans le monde, ce sont 2,2 milliards de personnes qui ne disposent pas d’eau potable, c’est-à-dire située à domicile ou à proximité, gérée en toute sécurité et exempte de contamination fécale ou chimique. L’ONU estime que 2,6 millions de personnes décèdent chaque année (plus de 7 000 par jour !) de maladies liées à une consommation d’eau insalubre, ce qui en fait une des principales causes de mortalité au monde.

En Afrique sub-saharienne, les trois quarts de la population boivent une eau provenant de sources non protégées. Dans cette région, mais aussi dans de nombreux pays asiatiques ou sud-américains, collecter de l’eau potable reste un défi de tous les jours. Cette épreuve revient généralement aux femmes et aux filles, qui font des dizaines de kilomètres, en luttant drastiquement sur le chemin contre les pertes de cet or véritable. Nous ne saurions taire enfin la fracture entre villes et zones rurales. Sur tous les continents, ces dernières sont beaucoup plus touchées par l’insécurité humaine liée au manque d’eau potable.

L’eau potable, une chance méprisée. Si pouvoir accéder à l’eau potable demeure une obsession pour 30 % de la population mondiale, les débats au sein de nos sociétés, depuis longtemps rassérénées, se sont polarisés sur la qualité. On discute de la sûreté sanitaire de l’eau du robinet, bien moins chère que celle en bouteille. On critique l’usage du plastique pour cette dernière, mettant en avant les conséquences écologiques de la consommation d’eau minérale embouteillée, et le nécessaire recyclage à faire. Le verre et la consigne ont refait surface. Ces réflexions sont évidemment légitimes. Ne devrait-on pas, néanmoins, accentuer celles sur les gaspillages, étant donné que l’eau de nos robinets sert à nos lessives, nos vaisselles et notre hygiène ? Notre eau potable sert à beaucoup de choses… Au-delà du fait de nous nourrir. Qui se le dit ? Un sujet assurément délicat à traiter, une question déplacée sans doute, car après tout, à quoi bon vouloir mettre en perspective la situation d’ici avec celle du bout du monde ? Peut-être pour parfois se rendre compte de notre chance, quand l’eau potable jamais ne déserte notre quotidien. Peut-être aussi pour situer les jeux globaux qui animent les acteurs de l’eau potable ?

Nous pourrions commenter l’actualité chaude qui concerne l’hypothèse d’une fusion entre Veolia et Suez, deux géants internationaux de la gestion et de l’approvisionnement en eau. Mais concentrons-nous surtout sur le marché mondial de l’eau en bouteilles, estimé à 275 milliards de dollars par an. Il a doublé au cours de la dernière décennie et pourrait atteindre 400 milliards à l’horizon 2025, vues les tendances à la hausse du nombre de consommateurs et de consommation par personne. Connus du monde entier pour leur célèbre boisson noire et pétillante, les groupe Coca-Cola et PepsiCo sont parmi les premiers vendeurs de la planète, en compagnie de Nestlé, Danone et Otsuka. Ces trois entreprises dominent le secteur, représentant 20 à 25 % en moyenne des bouteilles d’eau achetées dans le monde. Actuellement, 450 milliards de litres d’eau en bouteille sont consommés par an ! Deux tiers de ces eaux sont « plates », les autres étant « gazeuses » ou beaucoup plus rarement « parfumées ».

Autres caractéristiques de ce marché : ces bouteilles sont majoritairement consommées à domicile (60 % environ) et les achats les plus massifs se font actuellement aux Etats-Unis et au Canada. Dans le cas de la France, où le paysage commercial est nettement dominé par les marques appartenant à Nestlé (Vittel, Contrex, Perrier, Quézac…), à Danone (Evian, Volvic, Badoit…) ou à Nepture (Saint-Yorre, Vichy, Cristalline, Rozana…), il est intéressant de signaler que l’eau potable consommée provient d’abord du robinet.

Innovations aquatiques. Mais revenons aux enjeux globaux. Comme la demande en eau potable s’accroît, le rôle de l’innovation s’accentue. La planète voit ainsi se multiplier les usines de dessalement d’eau de mer, dont une partie est précisément dédiée à devenir de l’eau consommée par les êtres humains. Des controverses existent sur le bilan énergétique de ces installations, mais des progrès rapides sont observés. Nous pourrions aussi bénéficier demain de conquêtes nouvelles, avec de l’eau potable issue des fonds marins. A ce titre, mentionnons l’entreprise française Ôdeep, qui en mer Méditerranée, à plus de 300 mètres de profondeur, tire de l’eau pour l’amener sur un navire, lequel en produit directement et la met en bouteille à bord. Avec un argument nutritionnel à la clef : l’eau de la mer « pêchée » si profondément offre une très large palette de minéraux et se targue d’être deux fois plus hydratante qu’une eau classique. Entre nouvelles attentes de consommateurs en quête de naturalité et recherche d’hydratation optimisée pour sportifs ou habitants de pays chauds, un tel concept mérite assurément l’attention.

Enfin, et pour élargir toujours un peu plus nos regards, n’oublions pas tous les autres, à l’heure où c’est l’ensemble du Vivant qu’il faut considérer. Parce que la vision « One Life, One Health » s’impose, sachons donc regarder les besoins en eau de qualité pour la santé des plantes et des animaux. Comment imaginer qu’ils puissent évoluer si la salubrité des eaux qu’ils consomment n’est pas garantie ? Leur bien-être dépend aussi de cette sécurité hydrique à renforcer. Dans le monde de demain, la faim d’eau potable va s’amplifier.
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