ANALYSES

Ces nations asiatiques que la Chine effraie pourraient être un formidable atout pour l’Occident

Presse
11 octobre 2020
La Chine avance ses pions dans toute l’Asie orientale avec comme objectif son hégémonie totale dans la région quitte à se froisser avec de nombreux pays. Les États-Unis, puissance influente dans la région, pensent à forger une coalition à l’image de l’OTAN afin de fédérer les pays opposés aux aspirations hégémoniques de la Chine. Les Occidentaux ont-ils un intérêt particulier à établir une alliance avec les nations asiatique effrayées par la Chine ?

Barthélémy Courmont : L’hégémon chinois se fonde en Asie, selon les souhaits de Pékin, sur un slogan « gagnant-gagnant » d’ailleurs conforme au principe de l’hégémon qui stipule une acceptation de la puissance du plus fort par les partenaires plus faibles. Cet hégémon se heurte cependant à de vives résistances, conséquence des craintes liées à la montée en puissance chinoise et les intentions de Pékin, et à la nature du régime chinois dans certains cas. Certains pays asiatiques sont ainsi des compétiteurs affirmés de Pékin : le Japon, le Vietnam, l’Inde ou encore dans une certaine mesure l’Indonésie, sans oublier Taïwan. Et dans les pays où les élites politiques se rangent du côté de Pékin, la sinophobie reste très présente dans la société et dispute cet hégémon.

Les Etats-Unis cherchent depuis plusieurs années à forger des coalitions en Asie, comme on l’a vu sous l’administration Bush avec « l’arc de la liberté et la prospérité » puis sous l’administration Obama avec la stratégie du pivot, l’un et l’autre ayant pour objectif de contenir la puissance chinoise en renforçant les partenariats dans la région. L’administration Trump s’est pour sa part montrée moins habile dans sa relation avec les pays asiatiques, mais le principe reste le même. Les pays ciblés par Washington sont généralement les mêmes, à savoir les alliés traditionnels en Asie du Nord-est (Japon et Corée du Sud, ainsi que Taïwan), les partenaires privilégiés en Asie du Sud-est (Philippines et Singapour), et des pays qui manifestent des réserves contre la Chine (Vietnam et Inde). Les intentions américaines ne furent cependant pas toujours accompagnées de succès, et les pays asiatiques sont par ailleurs trop différents pour que le principe d’une coalition s’impose. Une alliance de type OTAN est une perspective encore plus difficile à atteindre. On peut par conséquent comprendre les intentions américaines d’une administration à l’autre, mais il n’y a pas en Asie de logique de blocs, les pays de la région étant parfois inquiets face à la Chine, mais n’en demeurent pas moins des partenaires étroits de Pékin.

Emmanuel Lincot : Ce type d’association a déjà existé avec l’OTASE, pendant la guerre froide. Et la Corée du Nord a permis dès 1950, et pour la première fois depuis la fin de la seconde guerre mondiale, pour Washington et sous l’égide de l’ONU, de créer une coalition (avec la participation de la France, de la Turquie…) contre les communistes. Je ne suis pas sûr qu’une organisation aussi complexe que l’OTAN soit des plus pertinentes. Elle le serait si l’ensemble des pays membres étaient des démocraties. Ce n’est déjà plus le cas dans l’espace européen, et nous le voyons en Méditerranée ou dans le Caucase avec la Turquie dont les écarts minent la cohésion de l’OTAN. La disparité des régimes politiques en Asie du Sud-Est compliquerait la pérennité d’une telle organisation. En revanche, il me paraît important d’y créer des bases pour l’Union Européenne comme nous l’avions fait à Abu Dhabi pour la France. Et pourquoi pas à Singapour pour contrôler les agissements de la Chine à l’est comme à l’ouest de Malacca.

La création d’une alliance est-elle la solution pour ralentir la Chine dans ses aspirations hégémoniques en Asie ?

Barthélémy Courmont : Non, car c’est quasiment impossible. Tant que Washington restera sur un schéma de type Guerre froide et privilégiera un binarisme dans sa relation avec Pékin, les déconvenues s’accumuleront. On la vu avec la décision de Donald Trump de se retirer du TPP, dans l’espoir de le renégocier. La réponse des pays membres, le Japon en tête (pourtant un allié solide de Washington), fut de faire revivre le traité, mais sans les Etats-Unis. Il ne faut pas sous-estimer le savoir faire des pays asiatiques, qui ne veulent pas accompagner de manière passive le leadership chinois et valider son hégémon, mais ne veulent pas non plus être des compétiteurs de Pékin. On observe donc une tendance à se servir des Etats-Unis, ce qui au passage témoigne de la perte très sensible de l’influence américaine sur ce continent.

Emmanuel Lincot : Non, encore une fois. Les disparités entre les pays de la région sont trop grandes ainsi que leur versatilité tant vis-à-vis de la Chine que des Américains. En revanche, l’Union Européenne et les grands pays qui la composent ont tout intérêt à renouer avec leurs anciennes colonies non dans un esprit néo-colonialiste mais bien dans le domaine du développement ou de la coopération économique. Or, nous ne le faisons pas assez. Je pense à la France vis-à-vis du Vietnam, aux Pays-Bas vis-à-vis de l’Indonésie ou encore des Britanniques vis-à-vis du monde indien. Sans compter l’espace océanien ou polynésien où la France conserve des intérêts majeurs. Mais cela nécessite une politique beaucoup plus pragmatique. Il existe dans la politique étrangère française dans la région Asie-Pacifique beaucoup trop d’angles morts. Voyez Taïwan que nous ignorons pour des raisons essentiellement idéologiques alors qu’il s’agit de l’une des dix premières puissances économiques de l’Asie orientale.

Si une alliance se forme, sera-t-elle sur le même modèle que l’OTAN ?

Barthélémy Courmont : Les alliances de type OTAN, articulées autour de l’identification d’une menace commune et une sécurité collective pour y répondre, ne sont plus adaptées aux équilibres contemporains. L’exemple de la Corée du Sud est ici éclairant. Ce pays est un allié stratégique de Washington depuis toujours, mais on voit bien aujourd’hui que Séoul soigne sa relation avec Pékin, et est en désaccord total avec les États-Unis sur la question de la rivalité avec la Chine. Même le Japon, pourtant particulièrement inquiet des avancées chinoises, n’ira jamais jusqu’à un rapport de force. En Asie du Sud est, c’est encore plus net, avec Singapour qui est à la fois proche de Washington et de Pékin, les Philippines de Duterte qui ont orchestré un rapprochement notable avec la Chine, et des partenaires traditionnels de Washington comme la Thaïlande qui tombe chaque jour un peu plus dans le « camp » chinois. Reste l’Inde, dont la rivalité avec la Chine justifie à elle-seule la stratégie d’Indopacifique que les Etats-Unis et quelques pays, dont la France, se revendiquent aujourd’hui. Mais l’Inde est aussi dans l’organisation de cooperation de Shanghai (OCS), ironiquement présentée à début des années 2000 comme l’alter ego, et le rival potentiel, de l’OTAN…

Emmanuel Lincot : Non plus et c’est tant mieux car l’OTAN est un Gulliver aux pieds d’argile que l’on aurait dû dissoudre dès l’effondrement de l’URSS. Le maintien de l’OTAN et l’agressivité des Américains à l’encontre de Moscou en y intégrant la Pologne par exemple et sans avoir compris / admis que la victoire contre les communistes avait été aussi et avant tout celle du peuple russe expliquent le phénomène Poutine. Or, ce sont les Européens qui sont directement affectés par cette radicalité russe. Nous avons fait le jeu des Américains et de Poutine. Et partant, nous avons précipité la Russie dans les bras de la Chine. Bref, le maintien de l’OTAN nous a fait manquer, à nous ouest-Européens, le rendez-vous historique que nous aurions pu avoir avec la Russie. Ne répétons pas cette même erreur en Asie.
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