ANALYSES

« La dimension géopolitique de l’agriculture se renforce »

Presse
5 octobre 2020
Interview de Sébastien Abis - Les Echos
Est-ce que la pandémie a changé la donne sur les marchés agricoles ?

La covid-19 a créé de l’instabilité sur les marchés avec des Etats qui se sont précipités pour acheter des denrées alimentaires, comme certains consommateurs qui ont dévalisé les supermarchés. Au printemps dernier, la situation a toutefois été contenue car les flux ne se sont pas totalement taris et nous étions dans une dynamique qui pouvait s’appuyer sur des récoltes 2019 favorables, ce qui peut ne pas être le cas en 2020. Les conditions climatiques et macroéconomiques sont dégradées. En revanche, la covid-19 a aggravé la pauvreté dans le monde. Cette crise – comme les autres – a d’abord eu un impact sur les communautés les plus vulnérables, celles qui consacrent une part substantielle de leur budget à l’alimentation. On le voit partout dans le monde, y compris en France et aux Etats-Unis.

Pourquoi parler de « géopolitique de l’agriculture », le titre de votre livre ?

Les questions agricoles et d’alimentation ont animé et animent des conflits et des stratégies de conquêtes par des Etats mais aussi par des acteurs privés. Ces questions ont été, à tort, insuffisamment explorées par le passé alors même que la dimension géopolitique de l’agriculture a tendance à se renforcer avec la croissance démographique, l’urbanisation, la rareté des ressources ou l’instabilité climatique. Par ailleurs, avec des consommateurs toujours
plus nombreux, qui veulent manger de tout, tout le temps, nous avons besoin de circuits commerciaux longs, ce qui parfois favorise des tensions au sujet de l’alimentation.

Des exemples ?

On peut citer les violences en Colombie, en Inde ou au Mali autour des questions foncières. Au Moyen-Orient, le conflit israélo-palestinien est en partie un conflit agraire et hydrique. En Chine, les autorités doivent inclure dans le développement le demi-milliard de personnes rurales qui vivent à l’ouest du territoire. Cela passe par une hausse de la production agricole. Mais la Chine, pour se nourrir, doit internationaliser sa stratégie. Ce sont les routes de la soie alimentaires, qui sont aussi logistiques, normatives et diplomatiques. Ce n’est pas un hasard si la Chine a pris la tête de la FAO. On peut aussi citer la Russie, qui retrouve son rang et qui utilise à cette fin sa puissance céréalière, ou encore la Turquie, qui fait une percée au Moyen-Orient et en Afrique grâce à ses produits agroalimentaires.

L’alimentation est-elle toujours une source de conflit ?

Non, nous voulions aussi souligner dans ce livre que quand l’agriculture se porte bien et que la sécurité alimentaire est assurée, alors il y a la paix. En Europe, nous vivons dans une situation exceptionnelle grâce à la puissance et à la qualité de nos agricultures. Mais partout, l’équation de la sécurité alimentaire se complexifie. Parfois, des problèmes qui ne sont pas agricoles au départ finissent par le devenir comme dans le cas de la guerre commerciale entre Pékin et Washington.
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