ANALYSES

Les médias américains sont-ils trop enclins à excuser les erreurs de Biden ?

Presse
17 septembre 2020
Tous les candidats font des erreurs durant leur campagne présidentielle. Comparativement à celles de Trump, les erreurs Joe Biden sont-elles épargnées par les médias internationaux lorsqu’il fait une erreur ? Est-ce le cas aux E-U ?

Joe Biden est un peu le nemesis de Donald Trump. Le candidat démocrate est non seulement l’ancien vice-président de Barack Obama, dont l’actuel locataire de la Maison-Blanche s’est évertué à démanteler le bilan, mais il est aussi un des responsables politiques américains les plus expérimentés, tandis que Trump n’avait jamais été confronté à une élection avant d’accéder à la fonction suprême. Surtout, là où Donald Trump a fait ses preuves il y a quatre ans en campagne électorale, en sachant convaincre les électeurs, Joe Biden est moins à l’aise avec cet exercice, ce qui faisait d’ailleurs craindre au camp démocrate au début des primaires qu’il ne « ferait pas le poids », ce qui reste cependant discutable. Le contexte sanitaire qui impose une campagne virtuelle est favorable au candidat démocrate, et Trump s’en agace d’ailleurs. Ce qui le pousse à surjouer une campagne qui n’est pas à son avantage, tandis que son adversaire se contente de prestations plus rares et mieux préparées, distillant critiques et appels au rassemblement. Cette campagne est inédite en ce qu’elle oppose deux candidats qui n’utilisent pas du tout les mêmes outils: l’un multiplie les prestations pour reprendre la main, tandis que l’autre se montre très discret, presque trop. C’est ce qui explique que les erreurs de Trump, qui est par ailleurs encore aux commandes jusqu’en janvier 2021 – ou plus – sont plus nombreuses que celles de Biden, qui est très habile (contrairement aux idées reçues) et sait que les sondages lui sont favorables.

Il est cependant tout à fait juste que les médias se montrent plus magnanimes à l’égard de Biden, tandis que les écarts de langage de Trump, nombreux il est vrai, sont systématiquement repris et sujet à de multiples interprétations. C’est d’ailleurs ce qui a réussi au candidat républicain il y a quatre ans, en occupant le terrain avec ses messages outranciers face auxquels Hillary Clinton n’est pas parvenue à exister. Mais la donne est différente cette fois, et les écarts de langage de Trump autant que ses jugements erronés sont montrés du doigt. On ne pardonne pas à un président sortant ce qu’on tolère d’un candidat inexpérimenté.

À l’étranger, l’extrême impopularité de Donald Trump, qui est même inédite pour un président américain, se traduit par une couverture de la campagne très orientée, comme si tout ce que proposerait le président sortant est absurde et le programme de son adversaire positif en tous points. Cela est évidemment, dans les faits, plus complexe, et on pourrait s’étonner de ne pas voir une couverture plus positive d’actions de l’administration Trump porteuses de progrès, comme la normalisation de la relation entre Israël et plusieurs pays arabes. Certes le bilan à l’international de L’administration Trump est maigres et certes l’image des Etats-Unis s’est fortement désagrégée. Mais il serait excessif de ne trouver que des défauts à ce bilan, et après tout Donald Trump est l’un des rarissimes présidents américains qu’on ne saurait qualifier de va-t-en guerre. Beaucoup d’erreurs et un haut degré d’incompétence, mais pas que des jugements erronés, et le regard porté sur le bilan de Trump sera affiné une fois qu’il ne sera plus au pouvoirs et que les passions seront retombées.

Cet « acharnement » contre Trump est également visible aux Etats-Unis, même si le président sortant bénéficie d’un couverture médiatique plus à son avantage dans les médias conservateurs. L’équilibre est plus net, mais le problème vient de la crédibilité de ces médias conservateurs, ce qui est un autre problème.

Est-ce le symptôme d’un tout sauf Trump ? Comment l’expliquer ?

Nous assistons en effet à un effet tout sauf Trump, qui rappelle, dans Un ans comme à France, le tout sauf Bush de l’élection de 2004. Avec un effet renforcé par le profil de Donald Trump, déjà mal aimé avant son élection en Europe. Aux Etats-Unis, le traitement implacable dont le président sortant fait l’objet dans des grands médias nationaux comme le New York Times, le Washington Post et CNN, pour ne mentionner que les plus influents, est surtout le résultat du bras de fer qu’il a engagé avec les journalistes. La manière avec laquelle il a humilié publiquement ces grands médias ne pouvait que se retourner contre lui, et on peut dire que jamais dans l’histoire récente des Etats-Unis nous n’avons observé une telle défiance des grands médias à l’égard de la Maison-Blanche. Trump paye ses erreurs, et ce qui lui permit de se distinguer des autres candidats en 2016 et de le rendre plus sympathique aux yeux de nombreux électeurs le place désormais dans la ligne de mire des grands médias.

Il y a donc une différence avec 2004, quand le tout sauf Bush des médias étrangers contrastait avec une couverture moins catégorique de l’élection aux Etats-Unis, et avec le résultat que l’on sait. Cette fois, ce mouvement est très perceptible aux Etats-Unis, et à l’exception de médias très engagés à droite, Trump est très très isolé, et ses moindres écarts de langage sont immédiatement relevés. Sa marge de manœuvre s’en retrouve très réduite.

L’image que nous pouvons nous faire de cette campagne est-elle en accord avec la réalité ? Les médias internationaux sont-ils en train de reproduire la même erreur que la dernière fois ?

En 2016, de nombreux médias étrangers ont développé une fascination, à mon sens exagérée et inappropriée, pour Hillary Clinton. Comme si elle pouvait par son nom ramener les Etats-Unis à son statut d’empire bienveillant autoproclamé des années 1990, et comme si le fait qu’elle serait devenue la première femme à occuper la fonction suprême devait en faire une dirigeante hors du commun. Les faits sont cependant là: Madame Clinton a fait une campagne catastrophique en 2016, comme lors des primaires perdues en 2008, et l’arrogance avec laquelle elle a abordé le scrutin lui fut fatale. À moins de prendre parti, il est impossible pour un observateur des élections américaines de considérer qu’elle était une bonne candidate.

Cette élection est très différente. D’abord parce que Trump a un bilan à défendre, et qu’il n’est pas très bon – même si les médias amplifient le négatif et laissent de côté le positif. Ensuite parce que Joe Biden n’est pas Hillary Clinton, et que sa popularité est beaucoup plus grande. Comme j’ai déjà eu l’occasion de le commenter sur ce site, sa victoire est hautement probable, et elle l’était avant la crise du Covid-19, cette dernière ayant modifié les contours et la donne, mais pas le rapport de force. Si le destin lui avait permis de se présenter en 2016, sans doute aurait il mieux brillé qu’Hillary Clinton, avec le soutien de Barack Obama et fort d’un capital sympathie que l’ancienne sénatrice de New York n’a jamais eu au-delà de certains cercles. Dès lors, difficile de considérer que la même erreur serait reproduite, puisque les conditions sont très différentes.

Gare cependant à ne pas confondre couverture médiatique et militantisme, ce qui a fait défaut en 2004 et en 2016, avec les résultats que l’on connaît. L’opinion publique internationale – s’il nous est permis de la désigner ainsi – vote démocrate, dans les pays occidentaux en particulier. Mais c’est vite oublier que cette opinion ne vote pas, et que les électeurs américains ont leurs propres intérêts. N’oublions pas que la victoire de Trump en 2016 fut surtout la défaite d’Hillary Clinton et de son incapacité à rassembler son propre camps. Biden semble préparé à ne pas reproduire la même erreur funeste, mais les erreurs restent possibles.
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