30.09.2024
Mali : ce coup de force militaire était sans doute la seule façon de sortir d’une grave impasse politique
Presse
19 août 2020
Ce coup de force militaire était sans doute la seule façon de sortir d’une grave impasse politique. Le président Ibrahim Boubacar Keïta (IBK) était discrédité avec une économie en panne et surtout une situation sécuritaire extrêmement dégradée. En sept ans au pouvoir, il avait été incapable de reconstruire l’armée et le système régalien malien. Le niveau de corruption avait atteint des sommets avec son fils sérieusement impliqué. N’ayant pas la majorité à la suite des dernières élections législatives, il avait fait démettre 31 députés de l’opposition par un conseil constitutionnel à sa botte et les avait fait remplacer par des partisans. L’opposition légale était inaudible car son leader Soumaïla Cissé avait été enlevé par un groupe djihadiste dans des conditions mystérieuses et est toujours prisonnier. Une opposition composée d’anciens politiques, de religieux et de représentants de la société civile avait engagé une épreuve de force avec le pouvoir à base de manifestations de masse et le régime s’était finalement bunkerisé. On ne voyait pas d’issue à cette situation politique complètement bloquée.
Qu’est ce qui ne va pas dans l’armée malienne ?
La corruption d’une partie de la hiérarchie, qui fait du business au lieu de se battre et a organisé une véritable mafia. L’incompétence de nombreux officiers supérieurs choisis sur des bases ethniques ou politiques et non de mérite. L’indiscipline de la troupe qui se livre à de graves exactions sur les populations civiles etc.
Le Mali est-il au bord du gouffre ?
Non, tant que Barkhane est sur place, les djihadistes n’ont aucune chance de prendre le pouvoir. Au contraire, ce coup d’état a paradoxalement clarifié la situation. Reste à voir maintenant comment va se faire la transition et le rôle qu’entendent jouer les militaires qui, espérons-le, vont rapidement rentrer dans leurs casernes.
Quelle solution politique pour le Mali, le très populaire imam Dicko fait-il partie de la solution ?
Il est important que la transition soit assez courte et que le pouvoir revienne le plus tôt possible aux civils. Les religieux dont l’imam Dicko ont peu de chance d’être écartés très longtemps. Il faudra vraissemblablement compter avec eux à l’avenir.
De nouvelles élections générales sont-elles, selon vous, possibles rapidement ?
Comme toujours la communauté internationale va pousser à des élections le plus rapidement possible, ce qui n’est pas forcément souhaitable. Il me semble qu’il serait important d’obtenir par exemple la libération du leader de l’opposition Soumaïla Cissé, dont on est sans nouvelles. Il faudrait quand même faire le point sur l’ampleur des fraudes lors de la dernière présidentielle et mettre en œuvre des mécanismes de contrôle pour éviter leur répétition. Malheureusement une bonne partie du territoire n’est plus controlée par le pouvoir de Bamako et l’organisation d’élections dans de telles conditions est toujours problématique.
Serge Michaïlof est actuellement chercheur associé à l’IRIS, l’Institut des Relations Internationales et Stratégiques. Il a été le directeur des opérations de l’Agence Française de développement, et l’un des directeurs régionaux de la Banque Mondiale. Il est l’auteur de nombreux livres dont « Africanistan : l’Afrique en crise va-t-elle se retrouver dans nos banlieues ?” Fayard 2015