ANALYSES

« Xyllela, tueuse d’oliviers et défi pour la raison »

Presse
26 juin 2020
Arbre symbole de la paix et de la Méditerranée, l’olivier souffre. Sa santé est menacée par la Xylella Fastidiosa, bactérie responsable d’une terrible maladie qui frappe une zone géographique déjà meurtrie par tant de drames qu’elle n’avait pas besoin de voir son arbre emblématique verser à son tour dans la douleur. Parfois qualifiée de lèpre des oliviers en raison de son caractère mortel pour les végétaux, la Xylella Fastidiosa, se répand par le déplacement d’insectes vecteurs, suceurs de bois, qui, faute de pouvoir voler, sautent d’arbres en arbres.

La bactérie attaque les xylèmes, ces tissus transportant la sève brute, en développant un gel qui colonise l’olivier et le fait littéralement mourir de faim par l’arrêt de circulation de cette sève indispensable à la vie du végétal. Si les feuilles de l’olivier dépérissent, c’est qu’il est déjà trop tard. Les arbres touchés peuvent contaminer les autres via l’insecte, mais restent aussi asymptomatiques pendant de longs mois avant de révéler au grand jour les signes de la maladie.

Apparu en 2013 dans les Pouilles, cette région située au Sud de la péninsule italienne, la Xylella Fastidiosa progresse dangereusement. Il faut dire qu’au moment de son apparition, les atermoiements n’ont rien arrangé. Entre les alertes des scientifiques et les craintes des agriculteurs se sont positionnées des associations environnementales, des responsables politiques ou même des religieux pour donner un avis sur ce qu’il convenait de faire pour endiguer l’épidémie.

Des ravages incommensurables. Les enjeux étaient immenses : deux tiers de la production d’huile d’olive italienne provient des Pouilles, qui compte alors environ 60 millions d’arbres, dont certains sont pluriséculaires. Toucher à ces oliviers, c’est effacer l’histoire d’une région, attaquer son patrimoine culturel et cultuel et dégrader son paysage naturel. Qui n’a pas apprécié il est vrai de surplomber, en avion ou du haut d’une colline, ces immenses champs vert-gris à l’occasion d’un séjour dans les Pouilles ?

Alors que la solution agronomique était certes radicale, à savoir la coupe complète de l’arbre pour permettre d’endiguer la Xylella Fastidiosa, la réponse opérationnelle aura été de reporter une telle action et de nourrir, de facto, controverses ou théories du complot. La maladie serait due aux excès de l’agriculture moderne pour certains, qui considèrent avec méfiance les traitements utilisés pour la protection des plantes, jugeant qu’ils altèrent l’immunité naturelle des végétaux. D’autres ont fait courir le bruit que la Xylella Fastidiosa avait été introduite par des agents étrangers, dans le but de fragiliser la filière italienne oléicole, dans un contexte de concurrence exacerbée avec d’autres pays producteurs méditerranéens. On enquête également sur des travaux de recherche menés dans les laboratoires universitaires locaux.

« Usual suspects ». D’aucuns en profitent aussi pour condamner la mondialisation et l’ouverture des échanges. A l’origine de l’hécatombe en effet, un plant de caféier originaire du Costa Rica, passé par le port de Rotterdam porteur d’une cicadelle infectée. Et ce petit insecte s’est retrouvé dans les circuits des pépiniéristes italiens… Résultat, de 2013 à 2015, les Pouilles ont perdu 30 000 hectares d’oliveraies. Les coupes d’arbres contaminées deviennent paradoxalement vitales pour sauvegarder le secteur à moyen-long terme. En 2019, l’Italie, toujours second producteur et exportateur mondial d’huile d’olive, annonce avoir détruit plus d’un million d’oliviers. La chute des récoltes en Pouilles est de l’ordre de 80 %.

La Xylella Fastidiosa constitue dans la région des Pouilles une épreuve scientifique, économique, sociale et culturelle. En somme, une parfaite illustration des interactions intimes entre agriculture et géopolitique, avec des jeux de pouvoir et des rapports de force, des intrigues et des croyances, des rebondissements et des malheurs. Devant une telle maladie, capable de coloniser une grande variété d’espèces végétales (amandier, agrumes, lavandes, vignes) en s’appuyant sur une multitude d’insectes vecteurs, il est très étonnant de ne pas voir les acteurs se rassembler et s’associer pour trouver des réponses appropriées, équilibrées et dépassionnées.

Le problème n’est pas circonscrit à cette seule région méridionale de l’Italie. En Calabre ou en Sicile, les deux autres bastions oléicoles transalpins, les risques et les débats sont similaires. Mais c’est toute la Méditerranée qui est menacée. L’Espagne, leader du secteur, détecte à partir de 2016 la maladie sur un cerisier puis en 2017 sur la vigne à Majorque. Depuis, les îles des Baléares sont touchées et quelques foyers sont apparus sur le continent. La vigilance est maximale pour éradiquer le moindre végétal touché et éviter que l’oléiculture espagnole, principalement en Andalousie, soit à son tour submergée.

Aucun remède à ce stade. En France, depuis 2015, l’alerte est vive en Corse car la bactérie se dissémine peu à peu. Des cas sont recensés également en Provence-Alpes-Côte d’Azur en 2019. Il faut alors ériger des barrières sanitaires et mettre les zones infectées en quarantaine. Des tests sont effectués sur les oliviers, des outils de traçage sont nécessaires pour remonter les routes de la maladie car certains plants sont importés. La France déploie un important dispositif de recherche et de prévention. La maladie et les insectes porteurs sont scrutés. Des drones thermiques surveillent aussi l’évolution des arbres dans les zones à risque. Les arbres contaminés et condamnés sont arrachés, faute d’alternatives. A ce stade, aucun remède ne permet de contrer véritablement et massivement la Xylella Fastidiosa. Elle porte d’ailleurs assez bien son nom : en italien « fastidiosa » signifie « ennuyeuse ».

Pour l’Europe, qui grâce à ses Etats membres au Sud (Espagne, Grèce, Italie et Portugal), assure 70 % de la production mondiale d’huile d’olive et 50 % de sa consommation, l’affaire est particulièrement ennuyeuse. L’impact sur cet or jaune est multiple : baisse potentielle des récoltes, pertes économiques pour les petits producteurs et des territoires ruraux où l’olivier représente souvent une assurance-revenu, dégradation des paysages et de leur attractivité touristique, érosion patrimoniale… En sauvant les oliviers, d’Europe et de Méditerranée, nous sauverons à la fois l’histoire et l’avenir. Faisons confiance à la coopération internationale et à l’innovation scientifique pour tracer un chemin dans ce sens. Face à la Xyllela ou face au Coronavirus, un même combat assurément : travailler ensemble pour réduire les incertitudes.
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