ANALYSES

Eco-pacité à Pékin : mais qui sait réellement ce que nous réserve l’économie chinoise ?

Presse
23 mai 2020
Interview de Emmanuel Lincot - Atlantico
Alors que l’économie chinoise a subi au premier trimestre sa première récession économique grave depuis 1992 (-6,8%), le Premier ministre Li Keqiang s’est abstenu, dans son discours politique annuel, de fixer un objectif annuel de croissance économique. Que révèle cet abandon de l’objectif de croissance ? Dans quelle situation est l’économie chinoise aujourd’hui pour que le gouvernement se refuse à se projeter ainsi ?

La situation est très préoccupante. Le gouvernement met un frein à sa politique de désendettement pour soutenir une économie en souffrance et annonce un plan d’investissement d’un montant de 481 milliards d’euros. Comparativement, l’Union Européenne fait beaucoup mieux. Qu’est-ce à dire ? La crise de 2020 n’est pas celle de 2008 au sens où c’est le maillage des PME du pays qui a été atteint au cœur. Et puis, il y a dix ans, à tort certes, mais la Chine et son régime ne suscitaient pas autant de suspicions. Le plus grave c’est qu’à la faveur de cette pandémie, nombre d’industriels japonais mais aussi européens et américains vont se retirer du marché chinois. Enfin, un très grand nombre d’étudiants vont arriver sur le marché du travail sans espoir de décrocher le premier emploi. Le risque, c’est une explosion sociale. Il ne vous a pas échappé que le régime s’est naturellement auto-congratulé de la gestion de la crise tout en fixant à son agenda la question d’une proposition de loi sur la « sécurité nationale » et la question de Hong Kong. Pas d’objectif de croissance mais la menace de recourir à la force en cas de troubles. Et ce qui vaut pour Hong Kong vaut naturellement pour l’ensemble du pays.

Selon le premier ministre chinois, la grande incertitude concernant la pandémie de Covid-19 et l’environnement commercial mondial empêchent toute projection économique. Quelles sont les grandes incertitudes spécifiques à l’économie chinoise ? Parmi ces incertitudes, lesquelles sont structurelles et lesquelles sont propres à la situation économique actuelle du pays ?

L’avenir nous dira si le Covid 19 a décillé les yeux de nos propres dirigeants sur la confiance aveugle qu’ils nourrissaient à l’égard du gouvernement chinois. Mensonges et tromperie de Pékin ont en tout cas brisé pour longtemps la confiance entre la Chine et l’Occident. Or, cette confiance ainsi que la coopération technologique occidentale, la Chine en avait encore besoin pour ses projets numériques et pour autonomiser son savoir-faire dans le domaine de la high tech. C’est pour elle une catastrophe. Pour nous, l’espoir d’un salut. Celui du ressaisissement de nos Etats, d’un retour à une souveraineté stratégique. Pour la France, c’est un retour aux fondamentaux gaulliens. Nous avons donc 50 années à rattraper. Et notre histoire enfin commence !

Des économistes interrogés par Bloomberg prévoient que l’économie chinoise n’augmentera que de 1,8 % cette année, sa pire performance depuis les années 1970. Une prévision est-elle possible quant à l’activité économique à venir de la Chine ? Le pays renouera-t-il avec la croissance grâce à la relance de l’emploi et au creusement du déficit public de 8%, comme le prévoit le Premier ministre ?

Les experts occidentaux en matière d’économie s’appuient généralement sur des statistiques gouvernementales. Or, dites-vous bien que dans une dictature comme la Chine, tous les chiffres communiqués sont truqués. Donc, il faut sonder l’état de l’économie chinoise en tenant compte d’autres critères : la consommation d’électricité est-elle en train de diminuer ? Les importations chinoises de pétrole se maintiennent-elles ? La part des investissements chinois aux Etats-Unis est en chute libre depuis deux ans et la tendance s’accélère. Idem en Europe. Ces données sont fiables en tout cas et montrent à la fois une véritable décélération globale de l’économie chinoise et un repli stratégique. C’est la confirmation historique d’un changement de paradigme : la Chine va se refermer d’abord sur sa périphérie proche puis sur elle-même. Deng Xiaoping, le père des réformes, est mort une deuxième fois ce 21 mai. Car la période d’ouverture économique de la Chine est désormais derrière nous.
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