ANALYSES

Venezuela : « Avoir en tête ce que veulent les Russes »

Presse
22 avril 2020
Où en est la gestion de l’épidémie aujourd’hui au Venezuela sachant que les États-Unis notamment avaient annoncé des conséquences cataclysmiques pour le pays ?

Le développement du Covid-19 au Venezuela intrigue les observateurs. Contrairement aux différentes annonces, force est de constater que l’épidémie est plutôt contenue si on se base sur les évaluations du gouvernement qui ne sont pas remises en cause à l’intérieur du pays ou de l’Organisation mondiale de la santé (OMS). Plusieurs éléments peuvent expliquer ce phénomène. Du fait des sanctions unilatérales qui pèsent sur le pays, de la part des Américains essentiellement mais aussi des Européens, le Venezuela est très peu connecté aux flux de marchandises et de personnes. Sa démographie est aussi avantageuse car c’est un pays très jeune et donc moins exposé aux formes graves de la maladie. Un autre élément peut être l’organisation sociale très forte, autour du chavisme, qui permet une chaîne de commandement plutôt efficace entre le gouvernement et les populations. Enfin, c’est un pays qui reçoit l’aide des Chinois et de Cuba qui apportent un filet de prévention sachant que le système de santé est très dégradé et que la pénurie de médicaments est une réalité depuis de nombreuses années. Autrement dit, la pression politique à laquelle est soumis le pays depuis plusieurs années qui oblige la population à vivre dans le repli et le manque a, peut-être, permis une réactivité plus forte, une gestion disciplinée de l’épidémie.

Quels retours avez-vous sur la situation politique actuelle ?

La situation met aux avant-postes la gestion gouvernementale. L’opposant Juan Guaido se retrouve assez isolé. D’autant que, avant l’arrivée du Covid-19, le gouvernement et une partie de l’opposition négociaient pour trouver une feuille de route minimale afin d’aboutir aux élections législatives qui doivent se dérouler avant la fin de l’année. Depuis, beaucoup de gens ont demandé la suspension du conflit politique. Y compris dans l’opposition avec notamment Henrique Caprilès, candidat contre Maduro en 2013. À l’opposé, Juan Guaido maintient des positions radicales, alignées sur Washington. D’où son isolement. Cependant, son vrai pouvoir n’est pas là. On sait désormais que sa force n’est pas dans les militants et la base sociale car il s’est « démonétisé » et a désormais beaucoup de mal à mobiliser. Son vrai pouvoir, c’est Washington et les appuis qui vont avec, c’est d’être montré comme l’autorité légitime à recevoir les aides internationales et les financements. C’est ce qui explique, par exemple, le rejet du prêt d’urgence demandé par Maduro au FMI. La situation est donc extrêmement compliquée.

Une situation compliquée dont les États-Unis tentent de profiter, accusant Maduro de narcotrafic, proposant un nouveau plan pour sortir de la crise… Selon quelle stratégie ?

Plusieurs thèses ont cours. La mienne est que Trump semble être convaincu ou avoir été convaincu par Pompeo et les faucons, que la réélection étant désormais suspendue à la gestion du Covid et de la récession économique qui s’annonce, il faut engranger une victoire à l’international avant novembre et que la plus facile serait le Venezuela. D’où la nécessité de « relancer » le dossier.

Mais comment analysez-vous le « cadre » proposé par le département d’État américain ?

Il y a une première lecture qui se veut positive. Pour la première fois, les Américains admettent que la solution passera par une levée des sanctions, une négociation avec le chavisme et qu’elle sera politique et non pas militaire. Mais cette lecture positive se fracasse sur le fait que les conditions qui sont demandées pour l’application du cadre sont strictement impossibles : la capitulation nette de Maduro. Ce cadre est aussi à lire par rapport aux gesticulations militaires de Trump. Quelques jours plus tôt, il annonce une opération antidrogue régionale qui permet un renforcement militaire dans les eaux caribéennes à portée de côtes vénézuéliennes.

Quid de l’Europe ?

Après avoir dit qu’elle allait examiner le plan américain, elle s’en est réjouie, soulignant les « nouveautés » précédemment décrites. Elle n’a proposé aucune alternative et n’a fait preuve d’aucune indépendance. Mais on doit surtout avoir un autre partenaire en tête : les Russes, car ce qui se joue aussi c’est la question du pétrole.

La guerre commerciale entre les Russes et les Saoudiens a été une des raisons ayant provoqué l’effondrement de la demande mais aussi du prix du pétrole. Or, cet effondrement du prix du pétrole conventionnel met en péril toute l’industrie du schiste américain, une technique coûteuse et donc rentable quand le prix du baril est haut, dont Trump est un fervent promoteur. Ceci posé, il faut avoir en tête que Moscou a des intérêts au Venezuela, ayant encore acquis récemment des gisements. Les Russes ont donc également en tête de peser sur Trump pour qu’il assouplisse sa position à Caracas. Et les Russes ont un moyen de pression : leur capacité à faire baisser le prix du pétrole conventionnel en dessous de ce que rapporte l’industrie du schiste. Ce n’est qu’une perspective, mais il est probable que cela se joue dans les mois qui viennent.

Entretien réalisé par Angélique Schaller pour La Marseillaise
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