ANALYSES

Cette tempête politique (et sociale) mondiale qui se prépare

Presse
21 avril 2020
De manière globale d’abord, cette peur est-elle justifiée ? Quelles pourraient être les conséquences à l’échelle internationale de vastes mouvements contestataires ? La paix et la sécurité internationales sont-elles réellement menacées ?

Depuis la fin de la Guerre froide, et à juste titre, les études de sécurité ont dépassé la vision réaliste des confrontations inter-étatiques et les risques de conflit armé à grande échelle, pour décliner la sécurité sous plusieurs aspects. L’économie, l’environnement, la stabilité politique ou la cohésion dans une société sont ainsi autant de situations dans lesquels des situations d’insécurité peuvent germer. Dès lors, la sécurité internationale n’est plus uniquement associée au dialogue diplomatique entre les Etats, mais dépend de la capacité des pouvoirs publics à répondre au besoin de sécurité au sein même des sociétés. Dans le langage des Nations unies, on parle depuis le milieu des années 1990 de sécurité humaine pour désigner l’enjeu ultime de la sécurité, l’humain et non l’Etat. Les constructivistes font eux mention de sécurité sociétale pour mettre en relief les risques de fractures, essentiellement mais pas exclusivement entre une partie de la population et les instances politiques. La crise que nous connaissons est la parfaite illustration de ces différentes manifestations de l’insécurité, et elles sont d’autant plus prononcées qu’elles concernent de très nombreuses sociétés. Ainsi, le risque tel que l’évoque Antonio Guterres n’est pas de voir des guerres se développer en conséquence de la crise du coronavirus, mais la répétition à grande échelle de mouvements protestataites dans des sociétés, avec des effets politiques, économique et sociaux, et une recrudescence de la violence. C’est en ce sens que la sécurité internationale est menacée, car les acteurs étatiques vont être confrontés à une multitude de problèmes internes, qui pourraient s’avérer ingérables pour les plus faibles d’entre eux.

On pense évidemment aux pays en développement, qui se trouvent confrontés à des problèmes d’approvisionnement, ou encore d’accès aux soins. L’Afrique est de ce point de vue dans la ligne de mire, quand on mesure, par exemple, qu’un pays comme le Sud-Soudan ne dispose que de 4 respirateurs sur son territoire. En clair, ce pays ne peut faire face à une crise sanitaire à grande échelle, et ce n’est pas un cas isolé. Ces sociétés connaissent aussi déjà des problèmes d’approvisionnement en nourriture, qui augurent des périodes très tendues, et des risques de famine à grande échelle, avec toutes les conséquences que l’on connait. Ajoutez à cela le décrochage social dans des sociétés qui ne disposent pas de moyens d’aide aux démunis, et qui se traduit par une indigence, et l’indigence est source de violence. Les migrations internationales, mises en sommeil par la feremture de quasiment toutes les frontières, reprendront également et pourront même connaître une très forte croisance, dès lors que certaines régions seront mieux protégées que d’autres contre les effets à long terme de la crise sanitaire. Les tensions vont se multiplier, c’est maleureusement inévitable. Cependant, les pays les plus développés ne sont pas à l’abri de ces tensions. Ce weekend, nous avons observé de nombreuses manifestations aux Etats-Unis, ciblant les gouverneurs des Etats et demandant la levée des restrictions. Là aussi, ces demandes sont portées par l’évaluation d’une vulnérabilité, qui reste bien sûr subjective, par des populations qui ne veulent pas faire les frais de décisions politiques qu’ils ne partagent pas. Des mouvements de ce type se multiplieront, et se radicaliseront de plus en plus. En Israël, des milliers de manifestants ont également bravé les restrictions pour protester contre Benjamin Nentayahou, en respectant des distances mais en sortant malgré tout. La situation est plus appaisée en Europe, mais il ne faut pas prendre pour acquis la paix sociale que nous connaissons actuellement, car elle est plus fragile que jamais.

De manière générale, l’étude des épidémies dans l’histoire met systématiquement en relief les effets économiques et sociaux, et la violence qui les accompagne. La crise du coronavirus ne fait non seulement pas exception, mais en plus elle est, par sa portée internationale, encore plus déstabilisatrice.

En Inde des mouvements protestataires ont déjà vu le jour à Bombay, par exemple, alors que le gouvernement Modi était déjà critiqué pour son autoritarisme, que peut-on redouter ?

La situation en Inde est très préoccupante, derrière le confinement spectaculaire que les autorités ont choisi d’imposer. D’abord, il est évident que les chiffres officiels de personnes affectés et de décès ne traduisent pas une réalité qui ne sera évaluée qu’une fois la crise passée, quand des études poussées mèneront leur enquète sur le terrain. Les bidonvilles présentent une immense vulnérabilité, et surtout le risque d’une contagion rapide et même incontrôlable. Les premières protestations que nous observons à Bombay, et qui sont liées aux différentes caractéristiques que j’ai relevées plus haut, sont à mettre en relation avec le climat délétère dans ce pays avant même l’épidémie, notamment le traitement des populations de confession musulmane. S’ajoutent à cela des problèmes chroniques, comme la pauvreté, mais aussi le système des castes qui reste très pesant. Ainsi, peut-on vraiment considérer qu’un Indien de confession mulsulmane, et/ou intouchable, sera traité de la même manière qu’un autre citoyen dans l’Inde de Modi? La crise sanitaire ne modifie pas les inégalités, elle les accentue. Elle ne transforme pas les déséquilibres, elle les amplifie. Elle ne fait pas évoluer les tendances observées auparavant, elle les accélère.

Beaucoup de pays asiatiques ont été acclamés pour la manière dont ils sont parvenus à enrayer rapidement la propagation du virus. En revanche, alors que la crise économique les touches tous -la Chine y compris- doit-on s’attendre à des mouvement de protestation sociale ? Est-ce que le gouvernement chinois pourrait face à des mouvements de protestation plus vaste que ce qu’il a pu connaître jusqu’alors ?

Les pays asiatiques ne sont évidemment pas à l’abri de troubles sociaux. D’ailleurs, si on loue aujourd’hui à juste titre la gestion de la crise dans un pays comme la Corée du Sud, et que le président Moon Jae-in a bénéficié d’un vote très favorable aux élections législatives la semaine dernière, il ne faut pas oublier que sa côte de popularité a fortement vascillé au début de la crise, quand les Coréens pointaient du doigt la lenteur dans la réponse. Comme quoi les comportements peuvent basculer très vite, y-compris dans un pays moderne et démocratique. Les inquiétudes sont évidemment plus fortes du côté de l’Asie du Sud-est, où de nombreux Etats ne sont pas préparés à faire face à la crise sanitaire, et où les risques de déstabilisation politique sont grands. L’Indonésie est au centre de ces préocupations, avec à la clef des risques de radicalismes religieux ou encore de protestations politiques et identitaires. On pense aussi à la Thaïlande, où le roi est sévèremment critiqué, pour s’être confiné dans un hôtel de luxe en Allemagne en compagnie de vingt femmes. Rappelons que le crime de lèse majesté est en vigueur dans ce pays, mais la légitimité du souverain, déjà très faible, en sortira encore plus réduite. Dans tous ces pays, les mouvements protestataires verront le jour dès lors que les populations – ou des groupes d’individus – auront le sentiment d’être laissés pour compte. En d’autres termes, c’est malheureusement quasiment inévitable.

La Chine est de son côté un pays connu pour ses mouvements protestataires, malgré un régime qui se montre intransigeant sur ces questions. Depuis quelques années, le « contrat social » chinois s’articule autour d’une croisance éconmique et un bien-être social qui renforce la légitimité de l’Etat-parti. cela veut donc dire que cette légitimité est fragile, puisqu’elle peut être dispiutée dès lors que la croissance n’est plus au rendez-vous – et la Chine va entrer en récession comme le reste du monde – et dès lors que le bien-être social n’est plus assuré. Pékin se trouve confronté à une situation qui impose deux solutions, contraires, mais qui pourraient être suivies simultanément. D’un côté une politique plus répressive, interdisant les critiques de la ligne officielle au nom de l’ordre social, et c’est ce que nous observons depuis le début de la crise en janvier. De l’autre une fuite en avant vers une mondialisation que la Chine est désormais le seul pays à pouvoir maintenir, en apportant une assistance aux pays qui en ont le besoin, et en accélérant la reprise de l’activité en relançant les projets de connexion à échelle internationale. Pour maintenir sa croissance et donc sa paix sociale, la Chine a besoin du monde autant que le monde a besoin de la Chine, pour les mêmes raisons d’ailleurs. C’est pour cette raison que Pékin multiplie les initiatives afin de pouvoir au plus vite sortir de cette crise, et que le monde entier puisse en sortir avec elle – là où de manière troublante on constate que d’autres puissances, comme les Etats-Unis, ne prêtent que d’importance au sort du reste du monde. La Chine pourra-t-elle resserer son emprise sur une population qui demande des comptes, comme les nombreuses critiques sur les réseaux sociaux en janvier l’ont démontré? Réussira-t-elle son pari de faire redémmarer l’économie mondiale afin de limiter l’impact sur sa croissance? Les réponses à ces questions auront un impact déterminant sur la paix sociale dans ce pays. Cependant, il convient d’ajouter que si les Chinois pourraient exprimer leur mécontentement vis-à-vis du pouvoir si la crise s’enlise, c’est aussi à l’intérieur des murs du parti qu’il faut s’attendre à des passes d’armes. Ainsi, quelle est la légitimité de Xi Jinping dans les cercles du pouvoir? Celui que de nombreux médias occidentaux présentaient encore hier – à tort d’ailleurs, et de manière assez ridicule – comme le « président à vie » sera-t-il encore un homme fort après la crise du coronavirus? Rien n’est moins acquis.
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