ANALYSES

Le monde de l’Arabie saoudite s’effondre

Presse
10 avril 2020
Interview de Francis Perrin - Atlantico
La crise pétrolière qui reprend de plus belle – et l’indépendance de plus en plus forte des Etats-Unis sur les questions pétrolières – peut-elle causer la chute de l’Arabie saoudite que ce soit sur le plan politique, géostratégique et économique ? Si oui, de quelles manières ?

Francis Perrin : La crise pétrolière actuelle, conséquence de la crise sanitaire et de la crise économique qu’elle a provoquée, est majeure. Elle frappe durement tous les pays producteurs et exportateurs de pétrole, qui font face à une chute brutale de leurs recettes d’exportation et de leurs recettes budgétaires, et l’Arabie Saoudite ne fait pas exception à la règle. Mais certains pays producteurs souffrent et souffriront plus que d’autres. Parmi les critères qui différencient les pays producteurs dans un contexte aussi difficile, l’un des principaux est le niveau de leurs réserves financières dans lesquelles ils vont pouvoir ou pas puiser pour affronter cette crise. Or l’Arabie Saoudite dispose de réserves très importantes en devises et son fonds souverain, le Public Investment Fund (PIF), est fort bien doté. Le royaume a donc les moyens de traverser la crise actuelle au prix, évidemment, d’une chute de ses réserves. Il n’en est pas de même du Venezuela, de l’Iran, de l’Irak ou de la Libye, pour prendre le cas de quatre autres pays membres de l’Organisation des Pays Exportateurs de Pétrole (OPEP).

Un autre critère clé de différenciation entre pays producteurs est le niveau de vie et la richesse/pauvreté de leurs populations. Plus ce niveau de vie moyen est bas, plus des sacrifices supplémentaires pour la population seront difficiles et potentiellement générateurs de troubles sociaux et politiques. De ce point de vue, l’Arabie Saoudite n’est pas dans la même situation que le Nigeria ou l’Angola, deux autres pays membres de l’OPEP.

Les Etats-Unis, principal allié et protecteur de l’Arabie Saoudite, produisent depuis des années de plus en plus de pétrole, en importent de moins en moins et en exportent de plus en plus. Sur ce plan, ils ont moins besoin que par le passé du pétrole saoudien et de celui du Moyen-Orient de façon plus générale. Cela dit, ce serait aller trop vite en besogne que d’en déduire que Washington ne considère plus l’Arabie Saoudite et le Moyen-Orient comme des enjeux stratégiques. Les très bonnes relations entre l’Administration Trump et le royaume saoudien au plus haut niveau prouvent clairement qu’il n’en est rien. Si les propos du président Donald Trump sont parfois très contradictoires sur ce sujet, le département d’Etat et le département de la Défense n’ont aucun doute sur le caractère stratégique de cette relation bilatérale qui remonte au moins à 1945, voire aux années 1930.

Le pétrole – qui représente 2/3 des revenus du pays – est-il devenu un poison pour la pays lorsque l’on voit – notamment – que les pays cherchent à adopter des stratégies plus « eco-friendly » dans le monde par exemple ? Comment l’Arabie saoudite peut-elle s’adapter aux changements ?

Francis Perrin : Le pétrole est une source de richesse très importante mais il est capital de savoir bien gérer et bien redistribuer cette richesse. Certes, c’est une énergie fossile et elle est de plus en plus remise en question au regard de la lutte contre le changement climatique mais elle demeure indispensable au niveau mondial du fait de son rôle clé dans le secteur des transports et dans la pétrochimie. Cela reste un atout considérable pour le royaume saoudien même s’il est capital de diversifier son économie, ce qui est l’objet de la stratégie  »Vision Arabie Saoudite 2030 » portée par le prince héritier Mohammed Ben Salmane. Cette stratégie inclut aussi le développement du gaz naturel, du gaz non conventionnel, des énergies renouvelables, en particulier le solaire, et de l’énergie nucléaire.

Pour réaliser cette diversification, il faudra des investissements très importants, y compris en matière de capital humain. Le financement de ces investissements proviendra en grande partie des revenus générés par le secteur pétrolier et par la compagnie nationale saoudienne Saudi Aramco, détenue à 98,5% par l’Etat. Le paradoxe est que c’est le pétrole et les revenus qui en découlent qui permettront de se diversifier par rapport au pétrole. Mais cela demandera une forte volonté politique dans la durée, un véritable changement culturel dans le royaume et beaucoup de temps. Les orientations sont bonnes mais le succès n’est pas garanti.

Comment le pays peut-il palier ces problèmes ? Est-il condamné ou devra-t-il faire de nouveaux pactes économiques et politiques quitte à mettre de côté sa souveraineté ? Le marché du pétrole peut-il se redresser ?

Francis Perrin : Le marché pétrolier va se redresser avec la reprise économique mondiale. Lorsque nous sortirons progressivement des confinements et des restrictions de déplacement, la consommation de carburants pour les transports routiers, aériens et maritimes recommencera à augmenter. Le pétrole demeure le moteur de l’économie mondiale et le restera pendant encore pas mal de temps. Pas de reprise économique sans hausse de la consommation pétrolière.

En termes d’alliances, la plus importante pour l’Arabie Saoudite reste celle avec les Etats-Unis car elle est la plus stratégique pour le royaume. En dépit de problèmes tels que la guerre au Yémen, l’assassinat de Jamal Khashoggi ou les sanctions contre le Qatar, les relations entre les deux pays demeurent fortes parce qu’elles sont fondées sur des intérêts et des complémentarités depuis fort longtemps. Il est clair que les dirigeants saoudiens ne seraient pas mécontents de voir Donald Trump réélu pour un deuxième mandat car un président démocrate pourrait être plus critique sur le terrain des droits de l’homme mais Joe Biden ne leur est pas inconnu.

Sur le plan pétrolier, l’OPEP, qui regroupe actuellement 13 pays, est une organisation qui existe depuis 1960. Depuis la fin 2016, l’OPEP coopère avec dix pays non-OPEP dont la Russie et la coopération bilatérale russo-saoudienne s’est renforcée même si elle ne présente pas le même caractère stratégique que celle avec Washington. Et, face à la crise liée à la pandémie de Covid 19, l’enjeu est d’élargir, au moins de façon temporaire, cette alliance souvent appelée OPEP+ pour inclure des pays producteurs comme le Canada, le Brésil, la Norvège, le Royaume-Uni, l’Egypte et, peut-être, les Etats-Unis.

Enfin le rapprochement économique avec l’Asie et, notamment, la Chine est toujours d’actualité. Les exportations de pétrole saoudien sont de plus en plus dirigées vers l’Asie. De même, le développement de projets pétrochimiques, un autre point fort de l’économie saoudienne, passe aussi en partie par l’Asie.
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