ANALYSES

Taïwan : les leçons médicales et politiques d’une stratégie réussie face au Coronavirus

Presse
7 avril 2020
Taïwan avait alerté l’OMS quant au mode réel de propagation du coronavirus et alors que la Chine affirmait que l’homme ne pouvait pas le transmettre, l’organisation internationale a choisi d’écouter Pékin. Qu’est-ce l’exemple taïwanais nous dit de l’état de l’OMS ?

Cela nous enseigne beaucoup de choses, dont il va falloir nécessairement tenir compte à l’avenir. D’abord, il convient de noter la qualité du système de santé de Taïwan, l’un des plus performants au monde. Et la crise du coronavirus est un formidable révélateur de ces performances. A ce jour, on ne compte que 373 cas à Taïwan depuis le début de l’épidémie, et seulement cinq personnes sont décédées du coronavirus. Un bilan exceptionnel à mettre en parallèle avec le fait que Taïwan n’est pas membre de l’OMS (j’y reviendrai) et compte-tenu de la proximité avec la Chine – proximité géographique mais aussi humaine, avec les très importants échanges entre les deux rives du détroit. Ajoutez à cela qu’avant d’être placé en quarantaine au Japon, le Diamond Princess a fait escale à Keelung, au nord de Taïwan, et que ses passagers sont allés visiter Taipei! On pouvait s’attendre à une épidémie incontrôlable, il n’en fut rien. La stratégie de traçage systématique des malades a été payante, et n’a pas nécessité un confinement de la population, ni même des tests à grande échelle (moins de 40 000 personnes testées au total). De tous les pays touchés par le coronavirus, Taïwan est sans doute celui qui présente le bilan le plus remarquable, et personne ne saurait aujourd’hui le nier. Les autorités taïwanaises ont très tôt alerté l’OMS sur la transmission par les êtres humains du virus, début janvier, par la voix du ministre des Affaires étrangères Joseph Wu. Mais l’OMS n’a pas écouté les experts taïwanais et n’a même pas répondu aux messages de Taipei en ce sens. On connait la suite, et si l’OMS avait écouté Taïwan, peut-être n’en serions-nous pas là !

Ensuite, cette situation nous éclaire sur les carences de l’OMS, organisation de référence sur les questions sanitaires mais qui s’est ici avérée incapable de réagir face à une situation d’urgence, et malgré des informations dont elle disposait sur la transmission du virus. Déjà la crise du Sras avait montré les limites de l’OMS dans sa relation avec Taïwan, qui avait présenté un bilan aussi exceptionnel que celui d’aujourd’hui, et dont la stratégie de lutte contre l’épidémie n’avait pas été entendue. On peut y ajouter un savoir-faire dans d’autres domaines, comme la réponse aux catastrophes sismiques, aux typhons, etc. Il est temps que cela change et que l’OMS prenne Taïwan et ses 23 millions d’habitants au sérieux. Et puisqu’il s’agit d’une question politique, il est temps que les Etats membres de cette organisation défendent le cas de Taïwan.

Enfin, et en accompagnement du point précédent, cette situation révèle de manière criante les faiblesses de l’OMS, qui est dépassée face à cette pandémie et n’a pas été en mesure de prendre les dispositions nécessaires alors que les informations lui étaient transmises. Dans les leçons qui seront tirées de cette crise, l’organisation risque fort d’être identifiée comme l’une des grandes perdantes. Il n’y a cependant pas lieu de s’en réjouir, car il n’existe pas d’alternative.

Plus largement Taïwan n’étant pas reconnu comme un Etat est souvent ignoré par les instances internationales au profit de la Chine. N’est-ce pas là un exemple criant de la surpolitisation de certaines de ces instances et de l’hégémonie chinoise ?

Rappelons en effet que Taïwan n’est pas membre de l’ONU (depuis que la Chine l’y a « remplacée » en 1971) et est donc absente de toutes les organisations internationales du système onusien. C’est d’ailleurs un cas aujourd’hui unique, puisqu’on fait référence à un entité comptant 23 millions d’habitants, qui serait aux portes du G20 si ses chiffres étaient pris en compte par les organisations internationales, et qui est un indépendante de facto, puisque Taïwan a un territoire, un gouvernement, un drapeau, une armée ou encore une monnaie… Sans compter que Taïwan est une démocratie qui a fait ses preuves. Bref, chacun sait qu’il s’agit là d’un nœud politique et s’il est utile de le répéter, il ne faut pas nourrir d’illusion quand à la capacité de le dénouer de sitôt. Cependant, il est important d’attirer l’attention sur le fait que les responsabilités de ce nœud sont non seulement du côté de Pékin qui s’entête aveuglément, mais aussi de la « communauté internationale » qui s’accommode de ce statut. Rappelons ainsi qu’en Europe par exemple, un seul pays a des relations diplomatiques avec Taïwan, Vatican. A échelle internationale, c’est moins de vingt Etats, le plus souvent de très petite taille et population. En d’autres termes, les grandes puissances, en Asie, en Europe, en Amérique du Nord… sont très hypocrites à l’égard de Taipei, puisque ne reconnaissent même pas son existence (ce qui ne les empêche pas d’entretenir des relations commerciales étroites, et même de vendre des armes). Une fois encore, inutile d’espérer que cela puisse changer à court terme, notamment compte-tenu du rapport de force (économique surtout) entre Pékin et les autres Etats membres des instances internationales, qui tourne de plus en plus à l’avantage de la Chine. Cependant, il serait juste d’arguer du fait que l’OMS doit s’émanciper des divergences politiques et de la géopolitique, puisque son mandat s’inscrit dans le champ de la sécurité humaine, et non de la sécurité nationale. Il est navrant de constater la politisation de ces instances dont la mission est précisément de s’émanciper du politique pour intervenir au chevet des grandes causes. Dès lors, la Chine a tort de ne pas « autoriser » Taïwan à rejoindre l’OMS, les autres Etats membres ont tort de ne pas apporter leur soutien à une adhésion de Taïwan, et l’OMS a tort de céder aux pressions politiques.
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