ANALYSES

Sylvie Matelly, économiste : « Avec le coronavirus, on a très peu de visibilité »

Presse
14 mars 2020
Cette crise économique ressemble-t-elle à une autre crise connue ?

Dans cette crise se conjuguent un choc de l’offre et un choc de la demande. A niveau de l’offre, les entreprises ne reçoivent plus certains approvisionnements depuis la Chine, des salariés ne pourront plus venir travailler, elles ne pourront plus payer leurs charges… Au niveau de la demande, on s’attend à ce que les gens consomment moins et dépensent moins.

On va donc avoir une confrontation de ces deux éléments alors que normalement, dans une crise on a soit un problème de demande, soit un problème d’offre. Rarement les deux.

Les États peuvent-il amortir la crise ?

L’incertitude est de savoir ce qu’il faut faire sur le plan économique. Les banques centrales renvoient la balle aux États, en leur demandant de dépenser, d’utiliser l’instrument politique budgétaire pour soutenir les entreprises.

Les mesures sanitaires fortes sont indispensables. Pas pour éradiquer l’épidémie – car on n’a pas encore de remède et de vaccin – mais pour lisser l’impact de cette crise sanitaire dans le temps. Pour éviter que des milliers de personnes se précipitent dans les hôpitaux car elles sont malades en même temps. Les conséquences vont faire que la crise économique va être beaucoup plus profonde en réalité. Il y aura des situations dramatiques mais par de bonnes décisions politiques, un accompagnement cohérent, on sait que les conséquences peuvent être minimisées.

Est-ce qu’on a appris de la crise de 2008 ?

Je serais tentée de dire qu’on a appris depuis la crise de 1929 et que les économistes travaillent sur ces questions. Quand vous faites des études d’économie, un cours très important, en troisième année, porte sur la croissance et les crises. C’est un cours que tout étudiant a suivi.

Qu’est-ce qu’on a appris de neuf en 2008 ? Peut-être l’impact sur les systèmes financiers de telles crises. Cependant, malgré toutes ces connaissances, on a laissé une banque faire faillite alors même qu’on savait que c’était une catastrophe économique. Il y a la théorie, ce qu’on sait des crises, et puis il y a la vraie vie et ce que peut faire le politique – sous la pression de ses opinions publiques – pour lutter contre ces crises. Si on n’a pas sauvé Lehmann Brothers en 2008, c’est qu’on était en période d’élection présidentielle aux États-Unis et que, sauver une banque alors que des milliers de foyers se retrouvaient à la rue à cause de la crise des subprimes, ce n’était politiquement pas correct du tout.

Est-ce qu’on a des motifs d’espoir ?

Cela dépend de quel côté vous vous placez. Un certain nombre de personnes qui s’inquiètent depuis des années du détricotage de notre système de Sécurité sociale, de la crise dans les hôpitaux, les urgences… doivent se dire qu’au fond, si on en sort avec la conviction qu’il faut reconstruire tout ça, et bien on aura tout gagné.

D’un point de vue simplement économique, on a des raisons d’être extrêmement inquiets. Les réponses données à la crise sanitaire sont inédites et font qu’on a très très peu de visibilité non seulement sur les conséquences économiques de cette crise, mais aussi sur ce qu’on peut faire pour en limiter les effets.
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