ANALYSES

Agriculture : ces femmes qui nourrissent silencieusement le monde

Au-delà des célébrations conjoncturelles du 8 mars, journée dédiée aux Droits des Femmes, il nous faut prendre conscience du rôle vital joué au quotidien par les femmes, sur tous les continents, pour à la fois produire de la nourriture et favoriser l’alimentation stratégique des 1 000 premiers jours de chaque individu.

Un tiers des agriculteurs dans le monde sont des femmes et 45 % dans les pays en développement ! Certaines régions présentent des indicateurs encore plus significatifs : la part de la gent féminine dans la population active agricole atteint 60 % en Asie du Sud et 55 % en Afrique subsaharienne. Ces chiffres élevés tranchent avec une masculinité bien plus prégnante ailleurs : les femmes ne représentent que 8 % de la force agricole européenne et sud-américaine. Avec à peine 1 %, l’Amérique du Nord fait en quelque sorte chambre à part. Simultanément, il faut préciser que l’agriculture se présente comme le premier secteur d’activité pour 70 % des femmes en Asie et 60 % en Afrique. A l’inverse, seules 3 % des femmes qui travaillent dans l’Union européenne opèrent dans l’agriculture.

En France, le tiers des actifs permanents agricoles sont des femmes. Elles représentent le quart des chefs d’exploitation. Les entrepreneurs-agriculteurs de notre pays se féminisent donc, car seuls 8 % d’entre eux étaient des femmes dans les années 1970. Cette dynamique dans les parcelles – que l’on retrouve aussi dans les industries agroalimentaires – s’observe auparavant dans les établissements de formation. L’enseignement agricole n’est en rien un domaine réservé aux garçons. Dans les lycées ou les écoles d’ingénieurs, les filles sont bien là et même parfois majoritaires dans certaines spécialisations. Bien que ces chiffres ne donnent qu’une tendance générale et que les statistiques entre les pays ne sont pas toutes comparables, ils révèlent néanmoins le poids socio-économique de l’agriculture dans de nombreuses zones de la planète.

Epouses, mères. Sans surprises, hélas, l’agriculture ne fait pas exception dans la panoplie des inégalités de genre. Les déséquilibres sont partout. Beaucoup de femmes sont actives dans les champs sans avoir ni statut officiel, ni droit ni salaire. Face à la faim, elles sont également plus vulnérables. Dans les pays moins avancés et même émergents, des jeunes filles, au sein de familles démunies et pour qui la sécurité alimentaire reste une conquête de tous les instants pour (sur)-vivre, s’accroupissent pour aider leurs parents et récolter avec ou pour eux. En outre, malgré leur rôle pour produire et leur place démographique dans les systèmes, les femmes ne détiennent pas souvent les titres de propriété foncière (ou n’en héritent pas) et sont sous-représentées dans les enceintes décisionnelles et les organisations professionnelles. Elles sont pourtant souvent plus innovantes pour gérer les ressources naturelles, éviter les gaspillages, inventer de nouvelles pratiques ou créer des start-up ! L’effet serait d’autant plus vaste si leur accès à l’éducation et à la science était équivalent à celui des hommes. Et n’oublions pas une réalité mondiale ​: les femmes assument davantage de responsabilités domestiques. Les agricultrices sont aussi des épouses et des mères qui ne comptent pas leur heure de travail.

Responsabilité alimentaire. Si dans nos cuisines les aliments fusionnent et nos assiettes se remplissent, il convient donc de remercier ces millions d’agricultrices (et des pêcheuses, certes moins bien nombreuses ​!) qui en amont travaillent pour des milliards de consommateurs, qu’ils soient à côté ou très loin d’elles. Mais là où chacun d’entre nous doit la vie et l’apprentissage alimentaire au sexe féminin, c’est bien entendu dans l’intimité du début de l’existence. Le dessous des tables est aussi là dans l’histoire ​! Tant de choses se jouent au cours de nos 1000 premiers jours, qui s’étirent de la conception aux deux premières années de la vie après la naissance. Un millier de journées qui détermine l’avenir de l’enfant. Dans cette période, la nutrition en quantité et de qualité s’avère centrale dans la réussite de son développement. Notre microbiote intestinal est alors essentiel car il pose les bases de la santé future. De l’alimentation durant ces 1 000 jours dépendent donc toutes les années qui s’ensuivent dans le parcours d’un individu, et ce pour toutes ses activités.

Si la grossesse demeure réservée aux femmes, les hommes ne sauraient fuir leur responsabilité pour faire de ces 1 000 premiers jours un succès. Et pourtant, dans le monde, combien de femmes peuvent compter sur leur mari ou leur compagnon pour la sécurité alimentaire de leurs enfants ? Nous retrouvons ici toute la problématique de la fabrication de normes sociales et des modes de représentation. En agriculture comme pour l’alimentation, la réduction des iniquités et l’égalité de droits et de devoirs entre les femmes et les hommes est une affaire politique.
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