ANALYSES

« La Russie fait le pari que la crise du coronavirus est temporaire »

Presse
10 mars 2020
Interview de Francis Perrin - Le Point
Pourquoi l’Arabie saoudite renonce-t-elle finalement à contracter sa production ?

L’Arabie saoudite n’apprécie pas le « niet » russe et décide de passer d’une stratégie de défense des prix à une stratégie de défense de ses parts de marché. C’est la fin de trois ans de coopération entre les pays de l’Opep et les dix pays non-Opep dont fait partie la Russie.

Comment expliquer la décision de la Russie de faire voler en éclats cette coopération ?

Le refus de la Russie s’appuie sur trois éléments. D’abord, les compagnies pétrolières russes n’étaient pas favorables à une nouvelle réduction de leur production. Un effort qu’elles ont déjà consenti à plusieurs reprises. Et elles l’ont fait savoir à leurs autorités. Ensuite, Moscou estime que la crise du coronavirus est temporaire et qu’il ne faut pas s’affoler. Qu’il suffit de faire le dos rond. Que les choses vont passer. Enfin, la Russie observe le concurrent américain devenu le premier producteur mondial de pétrole. Or que voit-elle ? Que les États-Unis continuent d’augmenter leur production et gagnent des clients. Compte tenu de la relation difficile entre les deux puissances, la Russie ne pouvait pas rester inactive. Elle engage donc un bras de fer.

Peut-elle le gagner ?

Elle fait ce pari. Elle se dit qu’un prix du baril très bas contraindra les compagnies américaines à fermer des puits. Car n’oublions pas qu’aux États-Unis l’activité pétrolière est aux mains d’acteurs privés qui évaluent la situation en termes de rentabilité et de réserves. C’est un scénario possible. D’autant qu’il s’est déjà produit en 2016, lorsque le prix du baril a plongé à moins de 30 dollars. La hausse continue de la production américaine s’est alors interrompue.

Que peut-il se passer à présent ?

La balle est dans le camp de la Russie. Si elle estime que la guerre des prix a trop duré, elle reviendra à la table des négociations des pays de l’Opep. Mais cette affaire relève beaucoup des ego et des orgueils nationaux.

La Russie ne prend-elle pas un risque financier en laissant chuter les cours ?

Les chiffres du FMI montrent que la Russie équilibre son budget avec un prix du baril supérieur à 42 dollars. Face à l’Arabie saoudite, pour laquelle ce seuil est de 83 dollars, ou même aux producteurs américains, dont les coûts de production du pétrole de schiste sont élevés, on peut donc considérer que Moscou est mieux loti et dispose d’une marge de manœuvre. Ses réserves financières sont également importantes. Attention, tout de même, parce que ce chiffre ne prend pas en compte une multitude de facteurs. Les autorités russes, elles-mêmes, reconnaissent que le plancher idéal se situe plutôt à 50 dollars. Lorsque, entre 2014 et 2016, le prix du baril a reculé de 115 dollars à moins de 30, l’économie russe a considérablement souffert. Une chose est sûre : avec un baril à 35 ou 36 dollars comme c’est le cas aujourd’hui, personne n’est content. Toute la question est de savoir combien de temps durera cette situation. Si elle se prolonge pendant un an, les équilibres économiques et sociaux des pays producteurs en pâtiront.
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