ANALYSES

Les deux Irlandes : une réunification est-elle possible ?

Interview
20 février 2020
Le point de vue de Edouard Simon


Après la percée historique du Sinn Féin, parti nationaliste, au parlement irlandais lors des élections législatives du 8 février 2020, l’enjeu d’une réunification avec l’Irlande du Nord se pose. À ce sujet, la présidente du parti a d’ailleurs demandé un référendum dans les cinq ans au sein de la République d’Irlande, et a invité Londres « à s’y préparer ». Dans le cadre du Brexit, quel avenir pour la question nord-irlandaise ? Le point de vue d’Édouard Simon, directeur de recherche à l’IRIS.

Suite aux évènements du Brexit, un référendum sur l’indépendance de l’Irlande du Nord est-il envisageable et a-t-il des chances d’aboutir ?

Lors du référendum en 2016, les résultats du vote en Irlande du Nord ont été majoritairement en faveur du maintien au sein de l’Union européenne. Environ 56 % des votants nord-irlandais ont voté pour rester dans l’UE, ce qui n’est pas aussi élevé qu’en Écosse et ses 62 %. Cela contraste en tout cas avec les résultats au niveau national, où le Brexit l’a emporté mais avec une marge étroite. Ces résultats s’expliquent en grande partie par l’importance du commerce avec la République d’Irlande dans l’économie nord-irlandaise.

Les dernières élections générales de 2017 et 2019 ont par ailleurs vu une montée en puissance des nationalistes du Sinn Féin, et jamais l’écart entre le parti unioniste, le DUP – parti pro Brexit, et le parti nationaliste n’a été aussi faible.

La situation doit aussi être mise en perspective avec les élections anticipées en République d’Irlande qui viennent d’avoir lieu et où le Sinn Féin est arrivé en tête. Parmi les conditions de sa participation au gouvernement, le parti a demandé l’organisation d’un référendum sur la réunification d’ici à 2025. La question de la réunification est plus consensuelle en République d’Irlande qu’en Irlande du Nord, mais seul le Sinn Féin porte un message volontariste sur l’objectif de réunification des deux Irlandes.

Cependant, les risques d’aboutissements d’un référendum à court ou à moyen terme et donc d’une réunification sont assez faibles. D’une part, le soutien à une réunification est encore trop minoritaire en Irlande du Nord (malgré une hausse notable du soutien à une telle hypothèse dans les enquêtes d’opinion). Et, d’autre part, il existe de trop grandes incertitudes sur la forme que pourrait prendre cette réunification.

Cependant, si les résultats du Sinn Féin ont été bons autant en Irlande du Nord qu’en République d’Irlande, ils ne doivent pas être surinterprétés sur la question de la réunification. Les bons résultats du parti en République d’Irlande lors des élections du 8 février s’expliquent notamment à cause du nombre de candidats présentés, et sur le fait que sa campagne portait avant tout sur les préoccupations sociales, en particulier sur les questions de coût du logement, de politiques d’austérité et de défense du système de santé. À noter que les élus du Sinn Féin au Parlement européen siègent au sein du groupe GUE/NGL, apparentée à la gauche radicale.

Quelles ont été les réactions européennes face à la poussée du Sinn Féin et ses velléités de référendum pour une possible réunification des deux Irlandes ?

Comme pour la question écossaise, les réactions européennes sont très prudentes. Il n’y a donc pas de réaction officielle ni du côté européen ni du côté des États membres, car la question de la réunification est très sensible politiquement. Au-delà du Royaume-Uni, cela renvoie beaucoup d’États unitaires aux problématiques de séparatisme ou de régionalisme qu’ils pouvaient rencontrer dans certaines de leurs régions : la Catalogne en Espagne, le nationalisme flamand en Belgique, la Corse en France… Les Européens sont donc assez mal à l’aise sur cette question. Il faut voir si ces questions ne vont pas évoluer maintenant que le Royaume-Uni est un État tiers, notamment pour prendre en compte au mieux les intérêts de la République d’Irlande dans ce contexte.

Dans le cadre du Brexit, comment sera réglée l’épineuse question de la frontière nord-irlandaise ?

La question irlandaise a été l’une des pierres d’achoppement lors des négociations autour du Brexit, car la sortie du Royaume-Uni de l’Union européenne signifierait que la frontière de l’UE se placerait entre les deux Irlandes. Si une frontière fixe et dure devait être rétablie, les accords du Vendredi saint de 1998 — qui avaient mis fin au conflit nord-irlandais qui durait depuis la fin des années 1960 — seraient mis à mal. Une solution mixte a donc été trouvée et prévoit que l’Irlande du Nord reste dans le même espace douanier que le Royaume-Uni, mais va continuer à appliquer toute une partie du droit européen, et ce même après la période de transition. Il faudra voir comment cette situation, qui crée une sorte de frontière entre l’Union européenne et le Royaume-Uni dans la mer d’Irlande, va être gérée.

Un élément du protocole sur l’Irlande, en particulier, peut interroger quant à la pérennité de cette solution : la procédure de consentement qui est prévue par l’accord de retrait. Cette procédure prévoit que les autorités nord-irlandaises auront la possibilité de voter et de choisir à majorité simple s’ils souhaitent continuer à utiliser le droit européen ou non, tous les quatre ans. Cette procédure de consentement peut créer un facteur d’instabilité supplémentaire, mais aussi devenir un facteur facilitant la réunification des deux Irlandes.
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