ANALYSES

« Au Venezuela, l’instinct de survie a remplacé le choix politique »

Presse
19 février 2020
La France, l’Allemagne, les Etats-Unis ont renouvelé leur soutien à Juan Guaido lors d’une tournée internationale. Cela a-t-il renforcé sa position de principal opposant à Nicolas Maduro?

Juan Guaido souhaite une alternance politique et compte sur des soutiens internationaux. A ce niveau-là, il a obtenu un certain succès mais qui reste partiel. Entre cinquante et soixante pays, dont les Etats-Unis et les principales puissances européennes, l’ont effectivement reconnu président par intérim. Mais il ne détient aucun pouvoir effectif au Venezuela et la majorité des pays membres de l’ONU gardent des relations privilégiées avec Nicolas Maduro.

Le constat est que ses soutiens internationaux ne lui ont pas permis de réaliser ses objectifs. Le président Trump a tenu des déclarations qui contredisent la stratégie de la tension extrême de John Bolton, son ancien conseiller à la sécurité nationale. Et même en Europe, on constate une évolution, par exemple dans l’attitude du gouvernement espagnol. Juan Guaido n’a pas été reçu personnellement par Pedro Sanchez mais par la ministre des Affaires étrangères, à l’inverse des dirigeants britannique, français et allemand.

Une intervention militaire étrangère, parfois présentée comme la dernière solution probable, est-elle réellement envisageable?

Cette solution est peut-être la plus efficace pour provoquer un changement radical et immédiat à la tête du gouvernement vénézuélien. Les Etats-Unis l’ont envisagée et ont sollicité l’aide de la Colombie et du Brésil. Cette idée a été finalement écartée par Bogota et Brasilia. Les sanctions économiques et financières restent l’unique alternative à la voie militaire. Ces velléités militaires ont divisé l’opposition vénézuélienne, dont une partie souhaiterait se recentrer sur le Venezuela pour créer des dynamiques internes de nature à provoquer un changement de gouvernement.

Juan Guaido a-t-il les moyens de relancer la mobilisation d’une partie du peuple après une année sans réelles avancées pour la démocratie?

Juan Guaido a réussi à gagner le soutien des classes moyennes et supérieures vénézuéliennes qui constituaient l’opposition historique à Hugo Chavez. Grâce à la crise économique, il espérait rallier à sa cause la classe populaire alors qu’elle allait affronter des problèmes existentiels graves. Mais cette frange de la population a décidé de quitter le pays. L’instinct de survie a remplacé le choix politique. Depuis trois ans environ, 10% des Vénézuéliens ont fui le pays. Selon les chiffres, trois à quatre millions se trouveraient dans les pays voisins, essentiellement en Colombie, Equateur, Pérou et Chili. Certains ont aussi émigré en Europe, notamment en Espagne. Pour un pays qui comptait 30 millions d’habitants, cela reste un chiffre considérable.

L’armée, qui joue un rôle déterminant dans la résolution de la crise, reste fidèle au président Maduro. De quelle manière Juan Guaido peut-il espérer obtenir son soutien à terme?

Les présidents vénézuéliens ont toujours pris soin de l’armée. C’est pourquoi elle est correctement dotée. Le pays est devenu l’enjeu d’une sorte de nouvelle guerre froide. Le positionnement américain a suscité le soutien inverse de Moscou et de Pékin. La Russie a vendu à Caracas du matériel militaire de qualité supérieure à celui de la Colombie. Par ailleurs, l’armée est relativement bien traitée et intégrée dans l’appareil d’Etat. Les défections de soldats et d’officiers ont été assez minoritaires. La situation du Venezuela est similaire à celle de l’Egypte où les militaires sont un rouage essentiel du système. Les appels de Juan Guaido à l’armée, seule capable de renverser le régime, ont échoué.
Sur la même thématique