ANALYSES

Le Brésil de Jair Bolsonaro, un an de diplomatie à hue et à dia

Le programme électoral du candidat Bolsonaro était à hue, à droite toute. Placé sous l’autorité divine et plus particulièrement celle de Saint Jean il vouait aux gémonies ce qui après deux années Temer, restait encore de l’héritage de Lula et Dilma Rousseff. Taxé de communiste, sous l’emprise d’une sorte de société secrète malfaisante, le Forum de São Paulo, il privilégiait un autodafé de l’héritage global et donc aussi diplomatique des années PT.

n an plus tard, que peut-on en dire ? Ceux qui se hasardent à commenter la diplomatie bolsonariste avouent leur difficulté à tirer des conclusions un tant soit peu cohérentes. « Le choc du réel », signalait, dès le 3 février 2019, une éditorialiste du quotidien de Rio de Janeiro, GloboEliane Oliveira, « contraint à rectifier la politique extérieure ». Son confrère de São Paulo, O Estado, le 14 mars 2019, faisait un pas de plus, en parlant de « diplomatie médiocre ». Quelques mois plus tard, Nathalia Passarinho, journaliste de la BBC, faute de mieux, signalait que la « politique extérieure de Bolsonaro, était une politique à risques[1]».


Le programme du candidat Bolsonaro affichait le choix préférentiel d’un monde libre et biblique, axé sur les États-Unis, Israël, et les dragons asiatiques. Annonce présageant la réorientation abrupte de la participation brésilienne aux institutions régionales créées par le souverainisme sud-américain des années 2003/2016, la révision des relations avec la Chine et les pays arabes, un bémol sur les coopérations sud-sud, et une distance prise avec les institutions multilatérales, du Mercosur à la COP.

Toutes choses vigoureusement réaffirmées les premiers jours de l’entrée en fonction de la nouvelle équipe présidentielle. Le président a réservé un accueil privilégié lors des cérémonies de sa prise de pouvoir, le 1er janvier 2019, au Premier ministre israélien, Benjamin Netanyahou. L’annonce d’une délocalisation de l’ambassade brésilienne de Tel-Aviv à Jérusalem a été rappelée. Le ministre des Affaires étrangères, Ernesto Araujo, le lendemain, est allé au-delà de ce qui était attendu en présentant sa feuille de route aux ambassadeurs en poste à Brasilia et au personnel du ministère des Affaires étrangères. Il a exprimé ses convictions sous forme de prêche suivant l’aiguille de la boussole évangélique de son mentor. « Gnosesthe ten aletheian kai he eleutherosei humas/Vous connaîtrez la vérité et la vérité vous libèrera » leur a-t-il dit avant de se livrer à une longue exégèse de saint Jean, présenté comme fondement d’une diplomatie nouvelle libérée d’influences idéologiques… À Davos, devant l’élite financière et économique mondiale, Jair Bolsonaro, quelques jours plus tard, le 22 janvier 2019, a lui aussi délivré un message messianique, accusant ouvertement et ostensiblement ses prédécesseurs de gauche de corruption idéologique. Aux Nations unies, le 24 septembre suivant, il a précisé sa pensée de la façon suivante, « Mon pays a été très près du socialisme, ce qui nous a placés dans une situation de corruption ». Ciblant explicitement Cuba et le Venezuela, le Forum de São Paulo, mais aussi indirectement la Chine. Le Brésil a annoncé le 4 janvier 2019 son retrait du Pacte de Marrakech sur les migrations internationales et qu’il renonçait à organiser la COP 25/2019. Il a indiqué vouloir réviser sa présence au sein du Mercosur et tout ce qui de près ou de loin vise à consolider le multilatéralisme.

L’Alliance avec le Saint des Saints, les États-Unis de Donald Trump, a été très vite confirmée en paroles, comme en actes. L’alignement diplomatique a été inconditionnel. Le Brésil, pour la première fois de son histoire aux Nations Unies, a voté contre la résolution condamnant l’embargo de Cuba par les États-Unis. Le Brésil a voté contre toutes les résolutions critiques à l’égard de l’État israélien. Le Brésil s’est associé à la politique de rupture avec l’Iran prônée par les États-Unis de Donald Trump. Il participe de façon active à tout ce qui pourrait déstabiliser Nicolás Maduro au Venezuela, au sein du Groupe de Lima, comme de l’OEA, du TIAR et de Prosur. Les nouvelles autorités ont donné leur feu vert à la cession du joyau technologique brésilien l’entreprise Embraer au nord-américain Boeing. La base spatiale brésilienne d’Alcantara a été ouverte à la NASA. Le chantier des sous-marins construits sous licence française a été visité par le chef du Commandement sud des armées nord-américaines et ses équipes.

Cette diplomatie idéologisée et de servitude volontaire à l’égard des États-Unis, a très vite montré ses limites. Parmi les principaux partenaires du commerce extérieur brésilien, on trouve en effet la Chine communiste, les pays du Coran et l’Argentine redevenue péroniste. Les acteurs économiques brésiliens ont assez vite signalé que les bavardages religieux aux relents de guerre froide étaient réservés à la consommation intérieure. Et qu’il fallait retrouver un comportement réaliste en matière de politique étrangère. L’ambassade du Brésil en Israël est donc toujours à Tel-Aviv. Le Brésil a accueilli la Chine à Brasilia pour un sommet des BRICS. Jair Bolsonaro a accepté de se rendre en Inde les 26-28 janvier 2020 pour renforcer les liens mis en place par l’administration Lula. Le ministre des Affaires étrangères a retrouvé le chemin de l’Afrique, qui avait pris une place notable, diplomatiquement comme commercialement, dans les années 2006/2016.

Ce révisionnisme bricolé sous la pression de ceux qui ont facilité la victoire de Bolsonaro, reste effectivement un bric-à-brac ajusté au jour le jour. Les relations avec Israël restent centrales. Mais l’inculture et les improvisations de responsables qui peinent à sortir de leurs réseaux sociaux continuent à leur jouer de mauvais tours. Jair Bolsonaro qui avait classé en Israël le national-socialisme comme une idéologie condamnable parce que socialiste et communiste a été contraint par la voix de son vice-président de rectifier. Ce qui n’a pas empêché son Secrétaire à la culture quelques mois plus tard de se référer aux enseignements de Josef Goebbels, ministre de la propagande d’Adolf Hitler. Provoquant l’ire d’Israël et de la communauté juive brésilienne. Le secrétaire d’État a été contraint de démissionner.

Faute de pouvoir, ou vouloir, mettre en place une variante des régimes totalitaires fascisants, Jair Bolsonaro et ses équipes, se réfèrent à un nationalisme de circonstances, à la tête du client. La relation avec l’Inde, construite par Lula, relèverait d’un nationalisme partagé par les deux gouvernements et mutuellement profitable. Les agressions verbales à l’égard de la France, de son président et de son épouse, relèveraient d’un nationalisme patriotique, le chef de l’État français ayant agressé verbalement son homologue sans prendre de gants diplomatiques. En revanche Bolsonaro met son nationalisme dans sa poche, lorsqu’il s’agit des États-Unis quels que soient les commentaires et décisions de Donald Trump. D’ores et déjà il est possible de tirer un premier bilan diplomatique de ces va-et-vient chaotiques. Le Brésil avait acquis une respectabilité internationale inédite entre 2003 et 2016. Il le devait sans doute à des circonstances économiques favorables. Mais aussi à la définition d’une politique extérieure soucieuse de l’intérêt national, mais coopérative, articulée sur de nombreuses initiatives inventées et portées par une équipe d’exception, le Président Lula da Silva, le ministre des Affaires étrangères, Celso Amorim, et le Conseiller diplomatique, Marco Aurelio García.

Jair Bolsonaro avait déclaré le 18 mars 2019, à Washington, que la priorité des priorités était non pas de construire, mais de défaire l’existant, jugé idéologique et communiste. Cette entreprise de démolition a été menée à bien, dès le 1er janvier 2019. Pour le plus grand bien de qui ? Ni du Brésil, relégué dans les marches inférieures de l’influence internationale, ni même de Jair Bolsonaro, que personne ne prend au sérieux dans les enceintes internationales. Au point qu’il a décidé en 2020 de ne pas assister au Forum de Davos.

Celso Lafer, ex-ministre des Affaires étrangères d’un président représentant l’établissement brésilien, Fernando Henrique Cardoso, a dans un petit opuscule[2] défini de la façon suivante ce que doit être la politique extérieure d’un pays : elle doit « traduire les nécessités internes en possibilités externes pour élargir le pouvoir de contrôle d’une société sur son destin ». Mais à qui donc au Brésil, saint Jean et Donald Trump, référents extérieurs de Jair Bolsonaro, ont-ils donc permis « d’élargir le pouvoir de contrôle d’une société sur son destin » ?

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[1] In BBC Brazil, 8 octobre 2019

[2] Celso Lafer, « A identidade internacional do Brasil e a pôlitica externa brasileira », São Paulo, Editora Perspectiva S.A., 2007, p16
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