ANALYSES

“Le marché connaîtra un excédent de l’offre au début 2020”

Presse
22 décembre 2019
Il y a une semaine, l’Organisation des pays exportateurs de pétrole et ses alliés, dont la Russie, sont parvenus à un accord pour réduire encore leur production d’au moins 500 000 barils par jour afin de soutenir les cours du brut. Cette nouvelle coupe porte ainsi à 1,7 million de barils/jour la réduction de la production de l’Opep et ses partenaires. Quel serait, selon vous, l’impact de cette réduction sur le marché pétrolier, surtout lorsqu’on sait que la précédente coupe de 1,2 mbj n’a pas eu les conséquences escomptées sur les cours ?

Francis Perrin : Le premier constat que l’on peut faire est que les prix du pétrole sont stables. Le cours du Brent de la mer du Nord est actuellement de 64-65 dollars par baril. Sur ce point, on peut voir le verre à moitié vide ou à moitié plein. L’accord entre les pays Opep et non-Opep n’a pas fait vraiment monter les prix du brut mais les cours n’ont pas baissé non plus, ce qui montre que l’accueil des marchés n’a pas été trop mauvais. Les 24 pays concernés, dont 10 non-membres de l’Opep, viennent de décider de porter de 1,2 à 1,7 million de barils par jour (Mb/j) les réductions de production décidées antérieurement.

À ce chiffre, on ajoute des réductions “additionnelles et volontaires”, essentiellement de la part de l’Arabie Saoudite, de l’ordre de 400 000 b/j. Le chiffre passe donc théoriquement à 2,1 Mb/j dans l’hypothèse, qui n’est pas une certitude, que chaque pays tiendra ses engagements. Dans l’état actuel du marché pétrolier mondial, cet accord n’est sans doute pas suffisant du point de vue des intérêts des producteurs, mais il n’est pas insignifiant et il a le mérite d’exister. S’il n’y avait pas eu d’accord, la probabilité d’une baisse des cours aurait été élevée.

Dans son dernier rapport publié il y a une semaine, l’AIE estime que l’offre de pétrole sur les marchés mondiaux pourrait être excédentaire début 2020, malgré les baisses de production supplémentaires décidées par les pays de l’Opep et leurs partenaires, alors que l’Organisation, dans un rapport distinct, dit s’attendre à un retour à l’équilibre en 2020. Comment expliquez-vous cette dualité ?

Les traders sur les marchés pétroliers suivent de près les rapports publiés mensuellement par l’Agence internationale de l’énergie (AIE), par l’Opep et par le département de l’énergie des États-Unis. Il y a des ressemblances et des différences entre ces trois documents, ce qui est logique, car nous parlons dans les trois cas de projections sur les prochains mois et l’année ou les deux prochaines années, et nous n’avons donc aucune certitude dans un monde très complexe et avec des évolutions de plus en plus rapides. Il me semble juste de dire que le marché pétrolier sera marqué par un excédent de l’offre au début 2020, mais ce n’est pas contradictoire avec l’affirmation selon laquelle l’offre et la demande pétrolières mondiales pourraient s’équilibrer au cours de l’année 2020.

Quels sont les facteurs capables d’influer sur l’évolution du marché et des cours, plus particulièrement dans les mois à venir ?

D’abord la croissance économique mondiale en 2020. Celle-ci sera notamment liée aux tensions commerciales internationales, surtout entre les États-Unis et la Chine. Si, comme le laisse penser le président Donald Trump, ces deux grandes puissances arrivent à s’entendre pour sortir de la guerre commerciale, il y aura un impact haussier sur les prix du pétrole. Du côté de l’offre, on regardera de près l’évolution de la production Opep et non-Opep suite à l’accord qui vient d’être conclu à Vienne. Et n’oublions surtout pas la croissance de la production pétrolière des États-Unis grâce au pétrole non conventionnel.

L’évolution du dollar est importante, car les prix du pétrole sont exprimés en dollars et le commerce pétrolier mondial se fait en dollars. Enfin, les tensions géopolitiques mondiales joueront un rôle, notamment la situation au Moyen-Orient et dans la région du Golfe, en particulier autour de l’Iran. Tous ces facteurs, qu’ils soient pétroliers, économiques ou géopolitiques, influent sur les cours de l’or noir.

Comment voyez-vous l’avenir de la production américaine ? Est-elle un élément essentiel à prendre en compte sur l’échiquier pétrolier mondial ?

On ne peut pas comprendre les évolutions du marché et des prix du pétrole sans faire référence à la superpuissance américaine. Les États-Unis sont le premier producteur mondial du pétrole devant la Russie et l’Arabie Saoudite et ils creusent l’écart par rapport à ces deux autres géants pétroliers. De plus, la production américaine n’a pas encore atteint un sommet. Il y a encore une marge de progression pendant au moins plusieurs années. Rappelons que cela fait depuis 2008 que la production pétrolière des États-Unis est orientée à la hausse. Cette montée en puissance a changé la donne et complique beaucoup le travail de l’Opep. Dans le domaine du pétrole également, Washington demeure incontournable.

Propos recueillis par Ali Titouche
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