ANALYSES

Accords commerciaux entre les États-Unis et la Chine : vers la fin de la guerre commerciale ?

Interview
18 décembre 2019
Le point de vue de Sylvie Matelly
 


Donald Trump a annoncé un accord prévoyant une suppression par étapes des droits de douane punitifs envers la Chine, cette annonce semblant amorcer une accalmie, au moins temporaire, dans la guerre commerciale que les deux pays se livrent depuis presque deux ans. Se dirige-t-on vers la fin de celle-ci ? Le point de vue de Sylvie Matelly, directrice adjointe à l’IRIS.

Qu’est-ce qui a poussé les États-Unis et la Chine à faire une trêve dans leur guerre commerciale ? Se dirige-t-on vers une sortie de crise durable ?

Ce n’est pas le premier accord annoncé, mais celui-ci semble avoir été conclu. Il y a eu plusieurs tentatives depuis le début de cette guerre commerciale, en janvier 2018. Plusieurs accords ont été négociés, mais très peu sont arrivés à terme. Cette dernière tentative se révèle assez globale, incluant la plupart des sujets.

Les raisons qui ont mené à cet accord sont multiples.

La Chine souffre de cette guerre commerciale depuis plusieurs mois, la croissance du pays est menacée et le pacte social, permis par cette croissance, semble s’effriter. On l’a vu à Hong Kong avec les manifestations et l’on voit d’autres problèmes apparaître ailleurs. Pour la Chine, il y avait urgence à calmer le jeu et à accepter un certain nombre de concessions pour que le commerce reprenne avec les États-Unis et que la croissance chinoise se stabilise.

L’économie des États-Unis est pour l’instant peu affectée par cette guerre commerciale, à l’exception de certains secteurs économiques, comme l’agriculture par exemple. Donald Trump avait d’ailleurs débloqué, il y a quelques mois, des moyens financiers pour soutenir les agriculteurs américains et compenser le manque à gagner des tarifs douaniers imposés par la Chine en représailles des sanctions américaines.

Or, il se trouve que les secteurs américains les plus impactés par la guerre commerciale sont aussi ceux qui représentent le plus grand nombre d’électeurs pour Donald Trump. L’accord trouvé avec la Chine relève donc pour partie d’une stratégie politique et électorale, dans une logique de précampagne pour sa réélection à la présidence des États-Unis en novembre prochain. Le président américain a ainsi tweeté qu’il s’agissait de « l’accord du siècle », le considérant comme un succès politique tendant à prouver que la guerre commerciale a fonctionné, de son point de vue, et que la Chine a cédé sur l’essentiel.

Pour autant, je ne pense pas que l’on se dirige vers une sortie de crise durable entre les États-Unis et la Chine tant les sujets de discorde sont nombreux. Même si cet accord venait à régler la question commerciale, ce dont on peut déjà douter, il reste de nombreux points d’achoppement. L’accord en intègre un certain nombre comme la question des droits de propriété par exemple. Pour l’instant, il ne s’agit que d’engagements et pas de mesures concrètes.

L’accord commercial est-il équilibré ou est-ce qu’un des deux pays en sort davantage gagnant ?

C’est difficile à dire, tout simplement car on ne sait pas exactement ce que contient cet accord. L’annonce faite par les Américains explique qu’il englobe tous les sujets qui fâchent, notamment la propriété intellectuelle et la question des transferts de technologies, ce n’est donc pas juste un accord commercial. La seule chose dont nous sommes sûrs, c’est que les Chinois semblent s’engager à acheter pour 200 milliards de produits américains, soit un tiers du déficit commercial, ce qui est assez conséquent.

Aux États-Unis, l’accord commercial a déclenché de fortes critiques : le New York Times a publié un article extrêmement négatif et certains experts des affaires commerciales se sont exprimés à la télévision en expliquant que l’accord était défavorable aux États-Unis… Les Américains ont obtenu des concessions des Chinois surtout sur la forme, mais pas d’engagements fermes, tandis que les Chinois ont obtenu des Américains des engagements beaucoup plus concrets, ce qui renforce cette idée que les États-Unis y perdent. Mais nous en saurons plus une fois l’accord intégral publié.

Les États-Unis se sont par ailleurs attaqués à l’Union européenne, et à plusieurs de ses membres, dont la France, soufflant le chaud et le froid quant à de potentielles représailles commerciales. Où en est-on de ces différents dossiers ? Quel est l’impact de ces tensions sur les différents marchés ?

Pour l’heure, les tensions sont palpables : des mesures ont été prises début octobre dans le cadre du jugement porté par l’Organe de règlements des différents de l’OMC au début du mois d’octobre, les Américains ayant eu le droit d’imposer jusqu’à sept milliards de dollars de sanctions et ils ne s’en sont pas privés. Des menaces ont été faites aux Français dans le contexte de la mise en œuvre de la taxe GAFA. Cependant, ce n’est pas pour l’instant aussi massif que la guerre commerciale entre les États-Unis et la Chine.

On sent une véritable hésitation entre un Donald Trump, très offensif sur l’Union européenne, et son administration, beaucoup plus prudente que le Président avant de se fâcher avec les principaux alliés des États-Unis. Les éléments qui fâchent Donald Trump sont nombreux : déficit commercial entre les États-Unis et l’Union européenne — surtout l’Allemagne en réalité —, taxe GAFA, taxe carbone qui s’imposerait aux importations américaines dans le cadre du Green Deal, l’OTAN et le fardeau de la sécurité européenne… En résumé, l’Union européenne constitue pour le Président des États-Unis l’archétype de ce qu’il ne faut pas faire en matière de renoncement à certains aspects de souveraineté au profit d’une organisation régionale (cf. sa perception de l’ALENA aussi et la renégociation de l’accord qu’il a imposé), mais aussi en matière de valeurs : le modèle social par exemple, le RGPD et la protection des données personnelles sont autant de dossiers qu’il ne comprend pas et qui sont très éloignés de sa culture et de ses convictions. Il a par conséquent beaucoup de mépris pour ces pays européens dont il a l’impression qu’en plus, ils ont toujours profité des États-Unis (répartition du fardeau au sein de l’OTAN par exemple ou interventions américaines lors des deux guerres mondiales).
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