ANALYSES

« Hong Kong et Pékin sont dans une impasse »

Presse
30 novembre 2019
Que pouvez-vous dire de l’état de l’opinion sur le mouvement qui agite l’île ?

Nous étions un peu dans l’inconnu jusqu’aux élections de la semaine dernière qui ont donné un indicateur très précis. Outre la forte participation, les résultats sont très spectaculaires en faveur des mouvements anti-Pékin, contre l’exécutif incarné par Carrie Lam : 18 districts sur 19 remportés. Cela montre que les manifestants continuent de bénéficier du soutien de l’opinion publique hongkongaise. Cela redonne de la vigueur à ce mouvement et on peut s’attendre à une manifestation très importante dimanche, et à ce que l’appel à la grève soit très suivi lundi.

Les revendications portent sur la mise en place du suffrage universel. Est-ce que la rétrocession est en cause ?

Ce n’est pas la rétrocession en tant que telle qui est en cause mais ses conditions. Quand le Royaume-Uni négocie avec la Chine dans les années 1980, cette rétrocession enclenchée en 1997 doit aboutir à un retour de Hong Kong sous l’autorité chinoise sous 50 ans. La revendication fondamentale des manifestants s’articule autour de leur crainte de voir cette rétrocession accompagnée de l’abandon des acquis démocratiques de Hong Kong. Ils essayent donc de les sauver. On peut d’ailleurs faire référence au mouvement des parapluies de 2014 qui était le premier acte avec, déjà, une défense des acquis et des institutions hongkongaises face à la place grandissante de la Chine.

En réclamant le suffrage universel, ils remettent en cause l’impact limité des élections. Les pros Pékin emportent en effet quasiment systématiquement le Parlement car une partie des parlementaires sont désignés d’office et non par processus électoral. Les manifestants veulent avoir une vraie représentativité des parlementaires par voie électorale.

La Chine peut-elle entendre de telles revendications ?

Ce sera difficile. La réponse de la cheffe de l’exécutif Carrie Lam aux résultats des élections est sans équivoque : elle s’est montrée apaisante en parlant de dialogue mais, à aucun moment, ne s’engage dans la mise en application des demandes des manifestants. Pour le système chinois, la rétrocession signifie que Hong Kong rentre dans la mère patrie et il ne peut pas accepter la pérennisation de deux systèmes. S’il l’accepte, cela veut dire qu’il peut y avoir plusieurs systèmes à l’intérieur de la Chine. Pékin pourrait alors s’attendre à ce que d’autres revendications voient le jour en Chine continentale : d’ordre ethnique – on pense aux Ouïgours ou aux Tibétains – ou social avec des demandes de participation plus actives de la société chinoise notamment dans les scrutins locaux.

Comment peut réagir la Chine, que va-t-il advenir de Carrie Lam ?

Elle est fortement décrédibilisée et le vote de la semaine dernière est avant tout un vote contre elle. On peut s’attendre à ce que, dans un souci d’apaiser les tensions, Pékin décide de la faire remplacer par un interlocuteur susceptible de relancer un dialogue.

Le recours à la violence est-il possible ?

Il permettrait de couper court aux revendications mais aurait un impact très durable. On se souvient des conséquences de Tiananmen en 1989 et de l’isolement dont la Chine avait fait l’objet sur la scène internationale. Compte tenu de l’importance des échanges internationaux mais aussi de l’influence grandissante de la Chine sur la scène internationale, ce serait un coup très dur porté à l’image de la Chine. Cela aurait aussi un impact terrible à l’intérieur car il y a une opinion publique chinoise qui s’exprime. On le voit d’ailleurs depuis plusieurs mois, les autorités tentent d’éviter cette option. Pékin a cherché à gagner du temps, à faire pourrir le mouvement pour lasser l’opinion publique hongkongaise et isoler les revendications des manifestants. C’est un peu ce qui s’était passé en 2014 mais cette stratégie ne fonctionne plus. Autant les manifestants sont dans l’impasse compte tenu du fait que leurs doléances ne seront pas entendues par la voie d’un dialogue, autant Pékin est aussi dans l’impasse car il ne parvient pas à « faire pourrir » ce mouvement et que l’utilisation de la force aurait des conséquences trop lourdes.

Quel rôle ou quel jeu jouent les Américains ?

La réaction de Donald Trump a d’abord été double. Il a eu des messages de soutien au mouvement lui-même mais également à « son ami » Xi Jinping. Il y a ensuite eu cette semaine sa signature du texte émanant du congrès apportant un soutien aux manifestants. On est, me semble-t-il, dans un jeu un peu dangereux où plutôt que mettre en avant le fondement démocratique du mouvement, Washington essaye de s’en servir comme d’un levier dans les négociations avec Pékin dans le cadre de la guerre commerciale. On ne peut donc pas parler de vraie position américaine en faveur des manifestants avec des messages clairs. On est dans des eaux troubles qui ne permettent pas de faire avancer cette crise. La même remarque peut d’ailleurs être adressée aux Européens.

Entretien réalisé par Angélique Schaller

 
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