ANALYSES

« Il n’y a pas de révolution à la tunisienne en Irak »

Presse
29 novembre 2019
Interview de Karim Pakzad - La Marseillaise
Quel tour prend la contestation en Irak qui en est à son deuxième mois ?

Elle a évolué. Du fait de la répression tout d’abord, qui est très forte puisque l’on compte aujourd’hui 360 morts et 16 000 blessés, mais aussi parce que l’Ayatollah Sistani la soutient même s’il appelle à ne pas détruire les installations publiques. Cependant, je pense que l’on est dans une période de reflux. Il n’y a plus le caractère insurrectionnel des premiers temps. Selon moi, on ne va pas vers une révolution à la tunisienne en Irak.

Je suis davantage préoccupé par la pression des Américains qui exigent que le pays prenne ses distances avec l’Iran et, au niveau intérieur, que l’organisation paramilitaire qui a lutté contre Daech, les Hachd al-Chaabi, soit dissoute. On a récemment vu que quand Mike Pence est allé en Irak, il ne s’est pas rendu à Bagdad mais dans une base de l’Ouest du pays avant de se rendre au Kurdistan Irakien où il a répété sa volonté de voir des distances prises avec l’Iran. Les Kurdes lui ont signifié qu’ils voulaient une position d’équilibre, respectant les Américains mais aussi les Iraniens avec lesquels ils partagent une large frontière. Cette pression pénalise le travail du chef du gouvernement, Adel Abdel Mahdi et risque de provoquer de nouvelles tensions importantes dans le pays.

Que fait Mahdi qui avait suscité de l’espoir à son arrivée mais qui est aujourd’hui très critiqué par les contestataires qui n’ont pas vu de changement ?

Outre les annonces économiques en faveur des plus démunis, Mahdi a pris plusieurs mesures répondant à l’exigence populaire de mettre fin à la corruption. Il a annoncé qu’il allait limoger la moitié de ses ministres qui seront remplacés par des personnalités expertes, non liées à des partis politiques.

Il a aussi établi une liste de 200 personnes accusées de s’être enrichies sur le dos du pays. Certains ont été arrêtés, d’autres interdits de sortir du territoire et le travail judiciaire a été lancé. Il a également rappelé 120 000 chômeurs, d’anciens contractuels des ministères de l’Intérieur et de la Défense qui s’étaient retrouvés sans emploi à la fin de leur contrat. Autre exemple, il a proposé au Parlement un projet de loi pour introduire un droit à la retraite en Irak. Il cherche comment répondre à la contestation. Ça ne satisfait pas les plus radicalisés des manifestants qui veulent que l’ensemble du gouvernement démissionne mais je ne pense pas que toutes ces mesures ne puissent pas avoir d’impact.

Que dit exactement l’Ayatollah Sistani qui avait soutenu l’arrivée de Mahdi mais soutient aussi les manifestants ?

Il soutient davantage les revendications que les manifestants. Il est très critique vis-à-vis du gouvernement, sachant qu’il avait alerté plusieurs fois sur la nécessité de s’atteler aux problèmes de corruption et de chômage. Mais il ne demande pas le départ du gouvernement. Ce qui lui importe c’est l’Irak et l’Irak a besoin d’institutions et d’un gouvernement. C’est un personnage très écouté et il vient notamment de dire à la représentante de l’ONU qu’il ne devait pas y avoir d’intervention étrangère dans cette crise et qu’il fallait laisser les Irakiens régler la crise seuls. Sa position donne finalement des arguments aux deux parties, aux manifestants comme à Mahdi.

Quid de Moqtada Sadr que l’on avait d’abord vu au côté des manifestants mais qui semble aujourd’hui se mettre en retrait ?

C’est un personnage complexe, un activiste religieux avec une tendance nationaliste mais pouvant osciller rapidement d’une position à l’autre. Alors qu’il s’était positionné contre l’ingérence de l’Iran, on vient de le voir poser sur une photo aux pieds d’un dignitaire religieux iranien. Un jour, il soutient, le lendemain, il s’oppose. On ne peut pas trop se fier à ses positions.

Quelle est la position du parti communiste avec lequel il avait fait alliance, arrivant en tête des législatives ?

Le Parti communiste irakien est un grand parti, très ancien, aujourd’hui dirigé par Raid Jahid Fahmi, un ancien du parti communiste français, revenu en Irak après la chute de Saddam Hussein, un homme d’une grande culture politique et très ouvert. Son alliance avec Sadr lui a permis de retrouver une grande place dans l’Assemblée. Comme toujours dans son histoire, le Parti communiste irakien est partie prenante des mouvements de contestation. Mais il veut reconstruire le pays et n’appelle pas à la démission du gouvernement et soutient Mahdi.

Entretien réalisé par Angélique Schaller
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