ANALYSES

Amérique latine : « Le scénario était écrit depuis un certain temps »

Presse
12 novembre 2019
Quelle est votre première interprétation de la situation en Bolivie ?

Je pense qu’elle est des plus confuses, assez chaotique. En l’espace de seulement 24 heures, on est passé d’une configuration à une autre, plutôt dangereuse pour le pays. Rappelons qu’Evo Morales était disposé à se conformer aux conclusions de la mission d’observation d’élections de l’Organisation des États américains. Celle-ci avait conclu non pas à une fraude, mais à des irrégularités techniques informatiques, et demandait donc un nouveau processus électoral. Le président avait même parlé d’un nouveau scrutin permettant aux Boliviens de renouveler l’ensemble des autorités institutionnelles avec de nouveaux acteurs politiques. Cela laissait donc ouverte la possibilité qu’il ne se présente pas. Or on est subitement passé à une situation infiniment plus grave, qualifiée par beaucoup de gouvernements de la région de coup d’État. L’armée et la police ont carrément demandé à Morales de ne pas se représenter et de renoncer au pouvoir. Le pays est confronté à tous les scénarios d’embrasement, de violence et d’affrontements…

L’armée a-t-elle complètement lâché le président ?

Evo Morales semble effectivement lâché par le commandement de l’armée et des forces de police. Il est aujourd’hui à Cochabamba avec ses proches, les mouvements indigènes, etc. Ceux-ci ontils encore des soutiens dans l’armée ? Sont-ils en train de les évaluer ?

Comment expliquez-vous ce positionnement de l’armée, contrairement à ce qui se passe au Venezuela, par exemple ?

C’est assez difficile à analyser. S’agit-il de la position d’une partie de l’état-major bolivien ? Est-ce qu’il existe, dans l’armée, d’autres forces, au niveau des troupes notamment, qui seraient restées fidèles au président ? La question reste ouverte : pourquoi le président Morales est-il confronté à un tel retournement des militaires ? Honnêtement, je n’ai pas beaucoup de réponses. On peut toutefois reprendre l’hypothèse de garanties étrangères données à ces états-majors.

Les pressions internationales auraient donc précipité ce retournement ?

C’est indéniable. De toute façon, le scénario était écrit depuis un certain temps. Washington a de tout temps souhaité le départ de Morales. Nous sommes en présence de la même logique qu’au Venezuela, à Cuba ou au Nicaragua. Mike Pompeo (secrétaire d’État américain – NDLR) s’est d’ailleurs officiellement félicité des conclusions de l’Organisation des États américains, dont les États-Unis pilotent évidemment l’essentiel des orientations. Oui, on peut affirmer qu’il y a une volonté d’éliminer politiquement Morales. Toutefois, au sein même de la droite latino-américaine et de Washington, il existe peut-être des différences d’appréciation sur la radicalité du contexte politique sur place. Une chose est de souhaiter de nouvelles élections et que Morales ne se représente pas, une autre en est de soutenir une situation totalement incertaine, avec une prise en main du terrain par des militaires. Nombre de réactions politiques évoquent la motivation du racisme.

Dans quelle mesure ce facteur est-il essentiel ?

Historiquement, en Bolivie, les populations indigènes ont été victimes de discrimination. Dans les motifs idéologiques qui nourrissent les affrontements entre l’oligarchie et les mouvements populaires, il y a cela en
arrière-fond. Comme en Équateur, où on a entendu la droite tenir des propos ahurissants sur les Indigènes, leur demandant de rentrer dans leurs tentes… Une partie de la droite bolivienne n’a jamais accepté que des mouvements indigènes aient pris le pouvoir, et en particulier Morales. Cette analyse-là me semble crédible. Après, je ne pense pas que ce soit là un facteur déterminant dans la configuration actuelle.

Peut-on parler, de façon globale, d’une logique de coup d’État impulsée par les États-Unis en direction de certains pays d’Amérique latine ?

Les États-Unis ont une stratégie erratique qui s’est construite au fil du temps sous le mandat de Donald Trump. Au départ, il n’avait que faire de ce qui se passait en Amérique latine. Aujourd’hui, il est à la recherche de succès internationaux qu’il trouve difficilement ailleurs. Il se présente comme l’éradicateur du « socialisme » dans la région. Cuba, Venezuela, Bolivie, Nicaragua… dans ces pays-là, il faut soutenir les droites locales et les secteurs les plus radicaux de celles-ci. Les États-Unis ne fomentent pas des coups d’État comme à l’époque de Pinochet en 1973. Ils n’en ont plus les moyens politiquement. Pour preuve, la résilience de Maduro au Venezuela.
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