ANALYSES

Emmanuel Macron souhaite-t-il enterrer l’OTAN ?

Interview
8 novembre 2019
Le point de vue de Jean-Pierre Maulny


Les déclarations d’Emmanuel Macron, qui a décrit l’OTAN comme étant en état de mort cérébrale, ont interpellé, mais aussi fait resurgir la question du rôle et de la nécessité de l’OTAN. Quelle place donner à l’OTAN dans la dynamique européenne ? Le point de vue de Jean-Pierre Maulny, directeur adjoint de l’IRIS.

Emmanuel Macron a déclaré à The Economist que l’OTAN était en état de mort cérébral : veut-il enterrer l’OTAN ?

Les propos d’Emmanuel Macron ont en effet été très forts. Il a en tous cas le (grand) mérite de placer la question politique au centre du débat et de ne pas s’enfermer dans des questions techniques qui finissent par nous faire perdre le sens de l’histoire.

Or quel est le sens de l’histoire ? Le monde est progressivement en train d’être géré par un duopole composé des États-Unis et de la Chine, et dont l’Europe est totalement absente. Normalement l’OTAN doit permettre un dialogue transatlantique sur les questions de sécurité : cette organisation doit faire le lien entre l’Europe et les États-Unis. C’est ainsi que l’OTAN se présente elle-même comme une organisation politique. Or que se passe-t-il actuellement ? Les États-Unis prennent des décisions unilatérales : ce fut le retrait de l’accord sur le nucléaire iranien l’année dernière puis l’annonce du retrait des troupes américaines de Syrie suivi d’un accord avec les Turques pour créer une zone de sécurité au nord de la Syrie. Toutes ces mesures sont prises d’une part au détriment des intérêts de sécurité des Européens et d’autre part sans que ces derniers aient été consultés par leur allié américain. L’OTAN n’est pas que l’article 5, la clause d’assistance mutuelle, c’est aussi l’article 4 qui prévoit que « Les parties se consulteront chaque fois que, de l’avis de l’une d’elles, l’intégrité territoriale, l’indépendance politique ou la sécurité de l’une des parties sera menacée. ». Or que voyons-nous dans les faits ? Les États-Unis ne consultent pas leurs alliés quand ils prennent une décision qui peut affecter la sécurité de ceux-ci et l’OTAN ne joue pas son rôle car elle ne prend pas l’initiative de rappeler à Washington son devoir sur ce sujet. Or, dans le cas de l’intervention turque en Syrie, le risque est important pour la France de voir des combattants de Daech être libérés et menacer son territoire. Parallèlement le président américain ne cesse de répéter que les Européens ne paient pas pour leur défense, ce qui est faux. Tous les pays européens augmentent leur budget de défense depuis 3 ans, et laissent en conséquence planer des doutes sur la solidarité américaine en cas d’attaque d’un des pays européens de l’OTAN. D’où la réponse du président français à la question portant sur le caractère pérenne de la clause d’assistance mutuelle de l’article 5 du traité de l’Atlantique Nord : « Je ne sais pas ».

On voit donc que la question n’est pas principalement celle de l’OTAN mais celle de la relation entre l’Europe et les États-Unis. Et le message du Président français est clair : face à cette situation, l’Europe doit prendre en main son destin dans le domaine de la sécurité car sinon nos pays ne seront pas protégés et l’Union européenne ne pèsera d’aucun poids sur la scène internationale. Il faut rappeler aux citoyens qu’il n’y a pas d’armée de l’OTAN, il n’y a que des armées nationales qui peuvent agir dans le cadre de l’OTAN ou dans tout autre cadre d’ailleurs. Donc l’OTAN sans les capacités militaires des États-Unis n’est plus l’OTAN, c’est l’Union européenne ou peu s’en faut.

Enfin, ce « rappel à l’ordre » du Président français a lieu un mois avant un sommet de l’OTAN à Londres où les Américains se feront fort de demander des concessions aux Européens sur divers sujets (révision des contributions au budget de l’OTAN, ouverture du Fonds européen de défense aux entreprises américaines) sans qu’à aucun moment personne ne songe à rappeler les États-Unis à leurs devoirs en tant qu’allié au sein de l’OTAN.

OTAN, défense européenne, architecture de sécurité européenne : comment s’articule tout cela ?

Il faut faire attention à ne pas confondre toutes les structures et tous les concepts. L’OTAN et l’Union européenne sont compétentes en matière de défense. Les deux institutions ont une clause d’assistance mutuelle mais l’OTAN a normalement la primauté en matière de sécurité collective. Reste que les capacités militaires sont nationales et qu’on peut aujourd’hui avoir un doute sur la garantie de sécurité des Américains. De ce fait, le discours de Macron a pour objectif de transmettre le message suivant : développons nos capacités militaires au sein de l’Union européenne, en s’appuyant sur des initiatives que sont la coopération structurée permanente et le Fonds européen de défense, car les Européens doivent mieux prendre en compte leur sécurité, les Américains le demandent, et que nous ne pouvons pas compter éternellement sur l’aide de Washington. Mais développer les capacités militaires européennes dans le cadre de l’Union européenne ne veut pas dire mettre en cause l’OTAN, puisque de toute façon ce sont les armées des pays membres de l’Union européenne qui seront renforcées et qui pourront servir soit dans le cadre de l’Union européenne soit de l’OTAN.

Quant à l’architecture de sécurité européenne, auquel le président Macron fait référence dans son entretien à The Economist, on ne peut l’opposer à l’OTAN. C’est un concept qui avait été développé après la fin de la guerre froide par François Mitterrand et qui consistait à nouer un dialogue permanent de sécurité avec la Russie sur la sécurité européenne. 30 ans après la chute du mur de Berlin, Emmanuel Macron remet cette proposition au goût du jour, jugeant qu’on ne peut rester dans cette situation de tension permanente avec la Russie. Cela ne veut en aucun cas dire que l’on cède à toutes les demandes de la Russie, mais simplement que l’on met tout en œuvre pour créer une structure de dialogue de sécurité paneuropéen. Et naturellement cette architecture de sécurité européenne ne sera pas une alliance militaire et ne suppose pas la disparition de l’OTAN, cela se situe sur un autre plan.

Nos partenaires européens vont-ils suivre Emmanuel Macron ?

C’est certainement le défi le plus ardu à relever pour Emmanuel Macron. Il est certain que les pays européens au Nord et à l’Est de l’Union européenne sont très inquiets de la résurgence de la menace russe et ont une attitude qui consiste à dire « ne fâchons pas Mr Trump, sinon il cessera de nous défendre face à la Russie ». Or il est nécessaire de faire comprendre à ces pays que le désengagement des États-Unis de la sécurité de l’Europe n’est pas lié au président Trump. C’est une tendance de long terme qui a commencé avec le président Obama et qui se poursuivra après novembre 2020, quel que soit le président élu aux États-Unis à la fin de l’année prochaine. Donc « penser européen » en matière de sécurité ce n’est pas vouloir écarter les Américains. C’est simplement nous montrer responsables vis-à-vis de nos citoyens pour leur dire : nous allons vous protéger. Pour la France, cela implique parallèlement de ne pas négliger le ressenti de ces pays vis-à-vis de la menace russe, sinon nous ne serons pas crédibles, surtout si nous voulons nouer parallèlement un dialogue de sécurité avec la Russie pour bâtir une architecture de sécurité européenne. Cela suppose également que les Russes fassent des gestes sur le dossier ukrainien car ils ont intérêt à ce que nous puissions bâtir cette architecture de sécurité européenne. Cela suppose enfin que la France arrive à convaincre qu’elle agit au profit de tous les pays de l’Union européenne et non à son seul profit. On comprend donc que les conditions à remplir pour obtenir un succès sont nombreuses et parfois contradictoires. La marge de manœuvre est limitée mais elle existe. Il faut donc que le président Macron, après avoir présenté le « film » de son entretien à The Economist produise désormais le « making-of » pour faire comprendre aux partenaires européens qu’il ne joue pas contre eux mais pour eux.
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