ANALYSES

« Ce que révèlent les propos de l’auteur de l’attaque de Bayonne »

Presse
30 octobre 2019
Que révèle le profil de l’individu, proche de l’extrême droite, qui est l’auteur présumé de l’attaque contre une mosquée à Bayonne ?

Il faut être très prudent, car il y a une enquête en cours. D’après les premiers éléments, le suspect a un profil atypique parce qu’il est âgé, voire très âgé. Même si aux États-Unis, un attentat meurtrier a été commis contre le musée de l’Holocauste à Washington par un tireur âgé de 88 ans, cela reste un cas très rare de passage à l’acte pour un homme de cet âge.


Le «passé militaire» qu’on lui prête n’est pas très clair: il aurait fréquenté un collège militaire mais à l’âge de 12 ans… Il a ensuite été scolarisé à Casablanca dans les années 50. Ensuite, il a milité au Front national. Il fait partie de tous ces gens qui ont gravité autour du FN voire y ont milité, et qui sont attirés comme un aimant par le caractère transgressif de ce parti. Ce n’est pas véritablement qu’ils adhèrent à 100 % aux idées ou à la tactique. Mais malgré tout, par le fait qu’il soit le parti le plus à droite de l’échiquier politique et qu’il ait des positions très tranchées sur l’identité et l’immigration, le FN/RN attire – malheureusement pour lui – des quantités de gens qui se sont révélés problématiques. Ce ne sont pas des adhérents du premier cercle: en l’occurrence, le tireur a seulement été candidat suppléant à des élections cantonales. Il possédait vraisemblablement – et c’est là que nous pouvons peut-être faire le lien avec sa biographie – un certain ressentiment à l’égard des personnes qu’il considérait n’être pas françaises. Il tenait des propos à la fois excessifs et un peu décousus ; c’était le genre de personnage qui avait la manie d’envoyer des courriers à tout le monde, du Président de la République au journal local.


Suite à la conférence de presse donnée par le procureur, on apprend qu’il a mis en joue les policiers de la BAC venus l’arrêter, ce qui prouve qu’il était déterminé et qu’il n’a pas hésité à mettre en danger des policiers. Par ailleurs, il a mentionné vouloir «venger la destruction» de Notre-Dame de Paris. Peut-être a-t-il consulté des sites de la «complosphère» qui prétendent que cet incendie a été causé par des terroristes musulmans… La question qui se pose actuellement est celle d’une éventuelle complicité: un «acte terroriste» est une incrimination juridique qui suppose que l’homme n’ait pas agi seul. Si cette qualification n’est pas encore retenue à ce stade, c’est que l’on n’a pas encore su déterminer si l’individu était en liaison avec un réseau ou un groupe terroriste.


Il y a quelques semaines, l’Allemagne était victime d’une tuerie antisémite à Halle, et quelques mois plus tôt la Nouvelle-Zélande a été endeuillée par l’attentat de Christchurch. Assiste-t-on au retour d’un terrorisme d’extrême droite dans le monde occidental?


Il faut commencer par regarder le fait générateur. Nous vivons aujourd’hui une guerre des identités. Les opinions se radicalisent sur la question de l’identité occidentale et de sa compatibilité avec l’islamisme voire avec l’islam lui-même, et cela dans de nombreux pays. C’est une préoccupation qui fait le tour du monde.


Mais les tueurs que vous avez cités représentent des générations différentes, des nuances idéologiques différentes. L’intensité des attaques n’est pas la même: il n’y a heureusement pas de morts à Bayonne, alors que le terroriste de Halle a fait des victimes et fort heureusement échoué dans une entreprise qui aurait pu être un vrai massacre, et le terroriste de Christchurch a commis une tuerie de masse.

Leur point commun en revanche est qu’ils sont tous à l’extrême périphérie de la marge. Prenons le cas français: certains individus d’ultra-droite sont fichés S parce qu’ils présentent, selon les services de renseignement, un profil de possible passage à l’acte ; mais lui ne l’était pas, il est resté sous les radars des services de renseignement. C’était un peu le cas aussi pour les membres du groupe AFO (Action des Forces opérationnelles), qui prévoyait de commettre l’an dernier un attentat contre des musulmans.


Vous parlez de «guerre des identités»: celle-ci est-elle exacerbée par le discours médiatique, comme certains l’affirment depuis le débat sur le voile musulman?


Il existe évidemment des crispations identitaires. Nous ne pouvons pas nier ce fait. Un certain nombre d’enquêtes d’opinion sont sorties là-dessus. L’injonction faite au président de la République de s’exprimer sur la laïcité, lui-même annonçant une rencontre avec les dirigeants du culte musulman, nous montre qu’il se passe quelque chose.


Du reste, je déplore la manière dont ce débat se déroule, et notamment le fait que beaucoup de ceux qui s’expriment sur le fondamentalisme mettent sur un pied d’égalité les trois religions monothéistes. Je lis par exemple sur les réseaux sociaux qu’il faut agir contre l’ensemble des intégrismes… Certes, mais je n’ai jamais vu un catholique traditionaliste devenir un tueur de masse: cela n’existe pas. Bien qu’ayant toutes les divergences du monde avec les fidèles de la Fraternité Saint Pie X, je crois que pas un seul d’entre eux n’envisage de commettre un massacre motivé par la religion. Vouloir rétablir un laïcisme offensif ne peut que renforcer les crispations actuelles.

Ensuite, ce n’est pas parce que des questionnements autour de l’identité sont présents dans les médias tous les jours que quelqu’un décide de tirer sur une mosquée ou de la faire sauter. Toute personne qui écoute Éric Zemmour sur CNews et se dit: «oui, il n’a pas tort», n’est pas un terroriste en puissance. Parce que l’immense majorité des individus a une répugnance à la violence et à ce type d’action.


Les individus qui, comme le tireur présumé à Bayonne, choisissent d’attaquer des musulmans, croient que l’État n’assume plus son rôle de protection des citoyens et notamment sa mission de répression de l’islamisme. Ils s’arrogent donc ce pouvoir parce que, souvent, ils ont fait un passage dans le monde des forces de l’ordre et pensent donc constituer une forme de réserve – au sens militaire du terme. L’État étant défaillant, c’est donc à eux de prendre la place de ces défaillants. C’était le profil exact d’AFO. Et c’est sans doute le profil du futur dans le cadre français.

Sur la même thématique