ANALYSES

« Les diplomates américains victimes de l’administration Trump »

Presse
5 novembre 2019
Dans une lettre ouverte publiée en octobre, le chef du syndicat des diplomates américains implorait ses collègues de ne pas démissionner. « Ce n’est pas un moment facile, mais, si vous pouvez, restez. » Le président de l’American Foreign Service Association, Eric Rubin, reconnaissait dans cet article paru sur le site que le Département d’Etat est l’une des principales victimes de l’administration Trump et que les conditions de travail devenaient de plus en plus difficiles. Mais Rubin considérait qu’il fallait résister à la tentation de claquer la porte. « L’Amérique a besoin de contrôleurs aériens, d’inspecteurs des denrées alimentaires, de gardes forestiers, d’agents du FBI, mais aussi de ses diplomates de carrière. »

Peut-être, mais la diplomatie américaine a été profondément ébranlée par la présidence Trump et elle s’en remettra difficilement après son départ. Contrairement aux contrôleurs aériens, les diplomates de carrière sont directement concernés par les actions du chef de l’Etat et ne peuvent pas en éviter les conséquences. Donald Trump semble souhaiter la disparition de notre personnel diplomatique.

Le président ne cesse de court-circuiter de façon délibérée et souvent pour des raisons douteuses le processus décisionnel traditionnel en matière de relations internationales. L’affaire ukrainienne est en un exemple patent. Au lieu de passer par son ambassadeur (de carrière) à Kiev, Trump s’est appuyé sur son avocat personnel et son ambassadeur (politique) à l’Union européenne (UE) pour mener une stratégie occulte, et potentiellement criminelle.

Attaques personnelles

Les diplomates de carrière sont tenus à l’écart, voire soumis à des attaques personnelles. Pis encore, certains ont été entraînés contre leur gré dans une affaire louche : conditionner l’assistance militaire apportée à l’Ukraine aux intérêts personnels du président. Trump souhaitait que Kiev enquête sur le fils Joe Biden, l’un de ses principaux rivaux en vue de la présidentielle de 2020.

Plus généralement, le président semble mépriser l’expertise, et peut-être même l’intégrité, des gens de carrière. Il n’y a qu’un seul diplomate de carrière parmi les sous-ministres « assistant secretaries » qui sont au cœur du Département d’Etat, et Trump semble préférer s’appuyer sur des ambassadeurs qu’il nomme directement et qui sont généralement des donateurs républicains et des hommes d’affaires.

Dans une tribune publiée par le Washington Post le 16 octobre, le nouveau conseiller de sécurité nationale de Trump, Robert O’Brien, a fait savoir qu’il avait l’intention de fortement réduire le personnel du Conseil à la sécurité nationale. Il a expliqué qu’il voulait « rationaliser » une structure qu’il considère trop lourde. Une autre explication pourrait être que le président cherchait à réduire le nombre d’experts qui pourrait critiquer ses décisions erratiques, faire des « fuites » aux médias sur ses comportements parfois étranges ou offensants avec ses homologues étrangers, ou même devenir « lanceur d’alerte ».

Les diplomates s’estiment donc hautement exposés aux dérives de la Maison-Blanche. Sur un des réseaux sociaux destinés aux employés du Département d’Etat, plusieurs diplomates ont récemment participé à une longue discussion sur les modalités qui permettent de se faire rembourser les frais d’avocat que l’on doit engager lorsque l’on est appelé à témoigner devant le Congrès dans le cadre de la procédure de destitution lancée contre le président.

Pressions

Plusieurs hauts responsables de la diplomatie américaine ont relaté avoir été soumis à des pressions afin de démontrer leur « loyauté » envers le président. L’ancien ambassadeur Michael McKinley a eu l’occasion de le dire sous serment devant une commission de la Chambre de Représentants le 16 octobre. Enfin, un récent rapport du Department d’Etat notait qu’une « ambiance hostile » prévalait dans certains services de la diplomatie, des employés sont stigmatisés par leurs supérieurs s’ils font preuve de trop peu d’enthousiasme envers Trump.

Les deux chefs de la diplomatie américaine sous Trump n’ont rien fait pour arranger les choses. Le premier, Rex Tillerson, a été un désastre pour le « foreign service ». Ancien PDG d’Exxon, Tillerson semblait penser qu’il pourrait faire plaisir à ses « actionnaires » en éliminant des postes et en réduisant le budget du Département. Il n’avait pas compris qu’à Washington le pouvoir se mesure en dollars et en effectifs. Le président ne l’écoutait pas vraiment et même un Congrès contrôlé par les républicains n’était pas prêt à réduire son budget de 30 % comme il avait demandé.

À l’arrivée de Mike Pompeo en 2018, les diplomates américains avaient, peut-être, quelques raisons d’espérer. Pompeo comprenait mieux les milieux « washingtoniens » et disait vouloir redonner son « aplomb » (« swagger ») au Département. Hélas, il n’en a rien été. Pompeo suit fidèlement la ligne du président Trump, il n’exerce aucune influence sur les orientations parfois bizarres que prend le président en matière de politique étrangère, et demande à ses collaborateurs une allégeance absolue à la personne du chef de l’Etat.

Enfin, il y a la politique de Trump elle-même. Chaque président a le droit de gérer les affaires étrangères comme il entend. Mais les diplomates américains sont si souvent obligés de défendre les prises de position qui sont inexplicables ou éloignées des valeurs américaines traditionnelles. L’abandon de nos alliés kurdes en Syrie n’en est que l’exemple le plus récent.

Dans ce moment difficile, un diplomate américain pourrait bien se demander comment se reconvertir en contrôleur aérien.
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