ANALYSES

Emmanuel Macron, l’homme sur qui mise Pékin en Europe

Presse
4 novembre 2019
Emmanuel Macron se rend en Chine accompagné de Phil Hogan, Commissaire européen à l’agriculture, et Anja Karliczek, Ministre allemande de l’éducation et de la recherche. Ils dialogueront sur des partenariats notamment. En Mars dernier, le Président chinois Xi Jinping avait déjà rencontré à Paris le Président français ainsi que Jean-Claude Juncker et Angela Merkel.
Quels sont les enjeux de cette visite pour la France ? Pour l’Europe ?

Cette deuxième visite officielle en Chine d’Emmanuel Macron est très attendue en ce qu’elle doit, ou non, confirmer les promesses de la première, qui s’était déroulée en janvier 2018. A cette occasion, le président français s’était engagé à venir en Chine une fois par an (il tient donc pour le moment promesse) et avait énoncé l’intérêt que la France manifeste pour l’initiative de la ceinture et de la route (nouvelles routes de la soie) de Pékin, tout en évoquant l’impératif d’une réciprocité. Ce principe essentiel fut rappelé lors de la rencontre avec Xi Jinping à Paris en mars dernier. Le président chinois venait clôturer une tournée européenne à l’occasion de laquelle il avait officialisé le ralliement de l’Italie au projet chinois, celui-ci n’ayant pas été annoncé auprès des partenaires européens de Rome. Les projets chinois intéressent toujours la France et la grande majorité des pays de l’UE, mais ils inquiètent dans le même temps, en particulier dès lors que Pékin avance de manière bilatérale. C’est en fait une approche par défaut, l’objectif de Pékin étant d’établir un partenariat à échelle de l’UE. Depuis son arrivée au pouvoir, Emmanuel Macron est perçu en Chine comme le dirigeant européen le plus influent, et le plus susceptible de convaincre ses partenaires européens de la pertinence d’un accord commercial à grande échelle. Par ailleurs, le Brexit a renforcé l’intérêt que la Chine manifeste à l’égard de la France, seul membres des 27 à siéger au Conseil de sécurité de l’ONU, à disposer d’une force de frape nucléaire et de capacités de projection de forces. Economiquement, c’est Bruxelles qui intéresse Pékin, mais sur les questions politico-stratégiques, c’est surtout Paris.

Emmanuel Macron semble être un entremetteur de choix pour Pékin dans les discussions avec l’Europe. Si cette rencontre aboutit à de nouveaux partenariats avec la Chine, le Président français peut-il se renforcer au niveau européen ? Que peut-il se passer si cette rencontre échoue ?

Il convient d’abord de s’interroger sur ce que l’on entend ici par succès et échec. Le président français ne va pas en Chine avec un mandat européen. Cependant, le fait qu’il soit accompagné de hauts responsables de la Commission et du gouvernement allemand vient rappeler à Xi Jinping que les Européens se concertent, en particulier Paris et Berlin, et que l’incident italien ne doit pas se reproduire. Le message est donc très clair: ce n’est pas uniquement une visite d’un président français, même si certaines questions bilatérales seront au cœur des discussions, mais d’un dirigeant important de l’UE. Dès lors, si cette visite permet d’avancer sur la possibilité de définir les contours d’une coopération économique et commerciale entre Bruxelles et Pékin, ce sera un succès en terme de prestige pour Emmanuel Macron sur la scène européenne, autant que la démonstration que les attentes chinoises auront été entendues. Cependant, il ne faut pas sous-estimer les profondes divergences entre Etats membres de l’UE sur les nouvelles routes de la soie, et si le bloc France-Allemagne-Commission semble se confirmer avec cette visite officielle, celui-ci n’est pas encore parvenu à embarquer l’ensemble de l’UE.

Quelle est actuellement la place de la Chine dans les relations avec la France ? Peut-elle devenir une alliée de choix (pour la France et l’Europe) dans la guerre commerciale qu’elle mène contre les Etats-Unis?

Les relations sont très bonnes, notamment pour les raisons évoquées précédemment, et qui renforcent l’image de la France en Chine. Elles doivent être approfondies sur plusieurs pistes de coopération, comme l’enseignement supérieur, la recherche, mais aussi la réponse aux défis politiques et sécuritaires. Paris et Pékin ne sont pas des alliés et ont de profondes divergences sur des questions comme les droits de l’homme ou les différends territoriaux en Asie, mais partagent dans le même temps de nombreuses perceptions sur des défis globaux, comme le réchauffement climatique, la lutte contre le terrorisme transnational ou la défense de la multipolarité. Il faut donc travailler sur ces convergences. Concrètement, cela pourrait se traduire par une coopération au Sahel ou par une position commune sur les enjeux sécuritaires au Moyen-Orient, Syrie et Iran en tête. Sur la question des guerres commerciales, si le principe d’une « alliance » est exclu, il est évident que les intérêts de Pékin et de l’UE peuvent converger, et aller dans le sens du renforcement d’un partenariat si les Etats-Unis poursuivent leur politique. Et cela pourrait se traduire par un accord autour des nouvelles routes de la soie, si et seulement si les garanties souhaitées par les pays européens peuvent être entendues. A ce titre, il faut garder à l’esprit qu’un accord avec l’UE est essentiel pour Pékin, le succès du projet pharaonique chinois étant soumis aux incertitudes de la croissance mondiale, aux guerres commerciales et à des résistances multiples. C’est sur cette base que la réciprocité doit être défendue.
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