ANALYSES

« Boris Johnson met l’Union européenne devant le fait accompli »

Presse
3 octobre 2019
Interview de Olivier de France - La Croix
La proposition de sortie de l’Union européenne formulée par Boris Johnson mercredi 2 octobre (1) vous semble-t-elle acceptable par les Européens ?

C’est une usine à gaz, plus compliquée même que l’accord que Theresa May avait trouvé en son temps avec l’UE. Ainsi, au lieu d’avoir un backstop avec une frontière, on en a deux. Au lieu de ne pas avoir de limite d’accord dans le temps pour le backstop, on en a une, en 2025. Ceci pose problème pour l’UE. Car cela signifie que l’assemblée parlementaire d’Irlande du Nord, qui votera cette année-là, tient entre ses mains le sort de l’accord d’ensemble entre les 27 États membres européens et le Royaume-Uni.

Avec cette proposition, Boris Johnson espère d’abord construire la majorité parlementaire britannique qui a manqué à Theresa May. C’est la seule solution qui s’offrait à lui pour arriver à faire en sorte que les unionistes nord-irlandais, les conservateurs, y compris les plus radicaux, et certains éléments du parti travailliste qui en ont assez de cette incertitude, soutiennent son accord.

En attendant suffisamment tard pour faire sa proposition, il met l’UE devant le fait accompli, ce qui est plutôt bien joué tactiquement. Il faut maintenant que le sommet européen extraordinaire des 17 et 18 octobre permette d’ouvrir des négociations pour entériner l’accord avant le 31 octobre. L’UE n’a plus trop le choix, car il n’y a plus le temps. Les modifications ne peuvent être qu’à la marge.

L’Europe a-t-elle la possibilité de refuser cette proposition ?

La décision pour l’UE devient hyperpolitique pour deux raisons : premièrement, vu la nature tardive de la proposition, ce sont les chefs d’État et de gouvernement qui devront arbitrer. Ce qui pose une question : qui va accepter de prendre la responsabilité éventuelle d’un échec face à l’Histoire ? L’UE ne peut se le permettre au risque d’être vue comme une organisation punitive et déconnectée.

Deuxièmement, les chefs d’État et de gouvernement doivent savoir s’ils acceptent de négocier la proposition de Boris Johnson en l’amendant pour qu’elle soit plus conforme à l’intégrité du marché unique ou s’ils acceptent la possibilité d’une absence d’accord, qui aura des conséquences sur les économies européennes.

Depuis que l’on négocie, ce principe de réalisme économique n’a jamais pris le pas sur la solidarité avec la République d’Irlande, sur la garantie d’intégrité du marché unique, etc. Il n’est pas certain que les dirigeants européens acceptent la proposition britannique. Ils sont obligés de lui réserver un accueil poli, mais cette proposition ne respecte pas les règles que s’était fixées l’UE.

En cas d’échec quelles seraient les conséquences pour Boris Johsnon ?

Si Boris Johnson a sa majorité au Parlement, et si l’UE refuse sa proposition, alors il pourra pointer les Européens du doigt et critiquer leur manque de démocratie, en refusant aux Britanniques ce pour quoi ils ont voté. Cette semaine, un mémo du 10 Downing street a fuité avec tous les éléments de langage assez violents que le gouvernement prévoit d’utiliser au cas où l’UE refuserait la proposition britannique.

Le Backstop qui paralyse les négociations depuis le début, n’est-il pas au fond qu’un effet de langage ?

Un État membre de l’UE a voté pour en sortir, donc une fois qu’un pays est dehors, ce n’est plus à lui de décider de l’intégrité du marché unique. Le mot Backstop veut dire que le marché unique a une frontière, si ce n’était pas le cas, il ne servirait à rien. Tout ce jargon n’est là que pour obscurcir cette réalité. Il faut donc trouver un compromis entre une majorité au Royaume-Uni et les positions européennes.

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(1) Elle prévoit que l’Irlande du nord quitte l’union douanière comme le reste du Royaume-uni mais que Belfast continue à appliquer les règles européennes en matière de circulation des biens.

Propos recueillis par Agnès Rotivel pour La Croix.
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