ANALYSES

Jérusalem : Chirac versus Hidalgo

Presse
30 septembre 2019
L’inauguration d’une « Place de Jérusalem » par Anne Hidalgo procède de petits calculs électoralistes qui contrastent avec le coup d’éclat de Jacques Chirac au cœur de la Ville Sainte.

Jérusalem abrite les Lieux saints des trois religions monothéistes. Ce caractère sacré a fait de la ville Sainte le cœur de la construction idéologique et territoriale des nationalismes israélien et palestinien. Or en décembre 1980, après l’annexion de la partie arabe de la ville en 1967, la Knesset a déclaré Jérusalem « réunifiée » comme « capitale » – « éternelle et indivisible » – de l’État d’Israël. Une telle revendication unilatérale est infondée en droit international [1]. A ce titre la France ne reconnaît aucune souveraineté sur Jérusalem et considère que la Ville sainte doit devenir la capitale de deux États : Israël et le futur État de Palestine.

C’est aussi dans cet esprit que le président Chirac s’était rendu en voyage officiel en Israël le 22 octobre 1996, à l’occasion duquel il a exprimé, le temps d’une tirade, le sentiment d’humiliation vécu par les Palestiniens soumis à l’occupation militaire israélienne. Son face-à-face avec les services de sécurité israéliens qui s’interposaient avec zèle entre lui et la population palestinienne, venue à sa rencontre dans une ruelle proche du Saint Sépulcre, avait été ponctué par ces mots qui resteront dans les annales : « This is not a method. This is a provocation. ».

Par une ruse de l’Histoire, c’est précisément de « méthode » et de « provocation » qu’il s’agit notamment avec la décision de sa successeur Anne Hidalgo à la Mairie de Paris d’inaugurer une « Place de Jérusalem ». Le choix des noms de rue ou de place revêt souvent une dimension politique, symbolique, voire axiologique, qui plus est dans la capitale d’une ville-monde comme Paris. C’est le cas de la dénomination de cette place située dans le 17e arrondissement de Paris. Le choix d’honorer Jérusalem n’a rien de condamnable en soi, au contraire. Du reste, officiellement, la Place de Jérusalem devait célébrer la vocation œcuménique de la Ville sainte. Un discours officiel qui a pourtant volé en éclat après les révélations du président du Consistoire central, Joël Mergui, selon lequel cette décision « fait suite à [s]a proposition, exprimée lors de la réception du président de la République d’Israël Reuven Rivlin à l’Hôtel de Ville [en janvier 2019]». Dans des courriers qu’il a échangés avec la Maire de Paris, Anne Hidalgo y justifiait la création d’une place de Jérusalem par les liens entre Paris et la « communauté juive » et afin de « commémorer l’amitié qui unit la Ville de Paris à l’État d’Israël ». Elle soulignait aussi que la future place se trouverait « aux abords » d’un lieu « hautement symbolique » : le futur Centre européen du judaïsme.

L’argumentaire, pour le moins orienté, nous éloigne de l’esprit œcuménique alors promis et relève au contraire d’une logique plus communautariste et clientéliste à quelques mois du scrutin municipal… En inaugurant une « place de Jérusalem » sous le signe exclusif des liens entre la capitale française, sa « communauté juive » et Israël, la Maire de Paris omet tacitement le caractère multiconfessionnel de la « Ville sainte » et la légitime revendication des Palestiniens de faire de sa partie orientale la capitale de leur État. Aussi, la démarche d’Anne Hidalgo sous-tend-elle une adhésion au principe du fait accompli d’une annexion israélienne de Jérusalem-Est. Du reste, lors de l’inauguration de la Place, la présence et la satisfaction affichée du maire de Jérusalem, Moshe Leon, farouche partisan de la colonisation, a renforcé le malaise déjà palpable au sein de la majorité municipale. L’inauguration est intervenue en effet après l’annonce successive de Donald Trump et Jair Bolsonaro de reconnaître Jérusalem comme capitale d’Israël, rompant ainsi le consensus de la communauté internationale.

Il ne s’agit pas d’une simple question de « timing » et de « dénomination ». L’affaire jette le trouble et nourrit les interrogations autour de l’identité politique de la Maire de Paris, qui souhaite incarner une gauche unie lors des prochaines échéances municipales. Or « [i]l ne peut pas y avoir de gauche quand on soutient la colonisation et l’apartheid »[1]. Même tacitement ou indirectement. Ces mots de la célèbre journaliste israélienne Amira Hass semblent avoir trouvé un écho auprès des écologistes, des communistes et du Parti de gauche, qui ont réagi par le dépôt d’un recours exceptionnel auprès du préfet en vue de l’annulation de la délibération créant une « place », dont les ressorts politiciens et électoralistes contrastent avec le coup d’éclat de Jacques Chirac. Un geste gaullien au cœur de la Ville Sainte, d’autant plus fort que l’ancien chef de l’État restera aussi dans l’Histoire comme le président de la République française qui a reconnu la responsabilité de l’État dans la Shoah. La justice, elle, est une et indivisible.




[1] : D’une part, la résolution onusienne n° 181 du 29 novembre 1947 sur le plan de partage de la Palestine reconnaît à la ville sainte un statut d’entité séparée qui la place sous le contrôle (international) des Nations-Unies ; d’autre part, si la « guerre des Six Jours » en 1967 marque l’annexion israélienne de Jérusalem-Est, la résolution 242 du Conseil de sécurité (du 22 novembre 1967) appelle au « retrait des forces armées israéliennes de(s) Territoires occupés » dans le cadre de l’instauration d’une paix durable. La colonisation de Jérusalem est également illégale, notamment au regard de la IVe Convention de Genève et de plusieurs résolutions du Conseil de sécurité des Nations unies. La résolution 2334 du Conseil de sécurité de l’ONU, votée à la quasi-unanimité des États-membres le 23 décembre 2016, a ainsi appelé à l’arrêt immédiat et complet de la colonisation et exhorté les États à différencier l’État d’Israël des territoires occupés depuis 1967.

[2] : «De l’« éducation sarajévienne » à la cause palestinienne», https://www.lemonde.fr
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