ANALYSES

De l’Arabie saoudite à Gaza, le Moyen-Orient est-il au bord de la conflagration généralisée ?

Presse
17 septembre 2019
Interview de Thierry Coville - Atlantico
Deux des plus importants sites pétroliers d’Arabie saoudite ont été dévastés samedi dernier par une attaque revendiquée par les rebelles houthistes. Dans quel conflit global s’inscrit en réalité cette attaque ?

Il y a deux conflits qui sont interdépendants. Il ne faut pas oublier qu’il y a cette guerre entre la coalition menée par l’Arabie saoudite, les EAU et les houthis. En toile de fond, il y a cette tension entre l’Iran et les Etats-Unis depuis la sortie des Etats-Unis de l’Accord du nucléaire depuis mai 2018.

Assiste-t-on à de simples escarmouches entre Iran et Etats-Unis ou est-ce qu’il y a un risque de voir ce conflit s’envenimer et une guerre se déclencher ?

La stratégie iranienne a changé depuis mai 2019. Les Etats-Unis sont sortis de l’accord et pendant un an, les Iraniens ont appliqué une politique de patience stratégique. Ils ont respecté l’accord, et ils ont demandé aux Européens de les aider. Les Européens n’ont rien fait. Il y a eu par ailleurs un changement de l’environnement politique en Iran. Tout cela a abouti à une nouvelle stratégie.

Il y a plusieurs éléments dans cette stratégie. Ils ont commencé à sortir de l’accord sur le nucléaire depuis mai 2019, de manière graduelle. Et conjointement, il y a tous ces incidents dans le Golfe persique : l’Iran veut faire mettre la tension. Il s’agit de montrer aux Etats-Unis que leur politique de pression maximale a un coût. En revanche, il s’agit aussi de rester à la limite, parce que les Iraniens ne veulent pas d’une guerre avec les Etats-Unis, ils ne feraient pas le poids. C’est aussi un signe envoyé aux Européens qui signifie : faites quelques chose, contrez les sanctions américaines. La politique étrangère iranienne est toujours très calculatrice.

Les stratèges américains les plus virulents ont quitté la Maison Blanche. Est-ce vraiment de l’intérêt des Etats-Unis de mener une guerre ouverte ?

Donald Trump est mal à l’aise sur cette question. Il ne veut pas d’un conflit avec l’Iran. Il a refusé de répondre militairement et d’attaquer l’Iran alors que des hommes comme John Bolton le poussaient. Il a évoqué plusieurs fois l’idée qu’il voulait rencontrer les dirigeants iraniens. On sent bien qu’il veut sortir de cette stratégie. En revanche, il veut montrer qu’il garde toujours le contrôle.

Les Européens, notamment les Français, ont proposé aux Etats-Unis le plan suivant : les Etats-Unis doivent accepter que les Iraniens aient une ligne de crédit de 15 milliards de dollars pour compenser l’impact des sanctions américaines, ce qui ouvrirait la porte à une éventuelle rencontre entre Rohani et Trump. Bolton était opposé à cela, ce qui aurait conduit, entre autres questions, à son départ. Trump n’est donc pas sur la ligne des va-t-en-guerre avec l’Iran, mais ces éléments existent.

Donald Trump, suivant la stratégie du parti républicain, est dans cette politique de pression maximum contre l’Iran. Mais le problème, c’est que s’il ne veut pas la guerre, il faut bien sortir de cette stratégie ! Va-t-il accepter la médiation européenne ? Et de revenir sur les sanctions américaines ? Cela va être difficile pour lui.

Les tensions sont aussi très fortes en Israël. En cause, les attaques répétées du Hamas qui annoncent probablement une intervention militaire israélienne dans la bande de Gaza. Quel est le risque d’un dérapage sur d’autres fronts ?

Il est évident qu’à partir du moment où les Etats-Unis sont sortis de cet accord sur le nucléaire, en mai 2018, à partir du moment où les Européens ont été incapables de contrer les sanctions américaines, on savait très bien que si l’Iran changeait de stratégie, comme l’Iran a des alliés dans la région, les tensions allaient être beaucoup plus importantes. Les alliés de l’Iran ont leurs propres agendas, certes, mais la sortie de l’accord leur permet de mener leur stratégie. Et à partir du moment où les tensions montent entre Iran et Etats-Unis, chaque action d’un allié de l’Iran peut être interprétée comme une action directe de l’Iran. Mike Pompeo n’a pas attendu de ce point de vue. Donc tout cela peut rapidement déclencher un conflit généralisé.

Cela étant, personne ne veut vraiment du conflit, parce que si conflit il y a, il ne sera pas limité à un pays, il sera régional. Ce serait une catastrophe pour tout le monde. Il y a une forme de prudence générale.
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