ANALYSES

« On pensait que la guerre froide signifiait la fin des conflits »

Presse
3 septembre 2019
Interview de Pascal Boniface - CNews
Donner une vue d’ensemble des conflits dans le monde. C’est l’objectif ambitieux affiché par Hubert Védrine, ancien ministre des Affaires étrangères, et Pascal Boniface, directeur de l’Iris, dans leur livre qui sort le 4 septembre : «Atlas des crises et des conflits» (éditions Fayard). L’occasion pour Pascal Boniface de faire un point sur l’évolution des crises qui font l’actualité.

Quand on regarde les informations, on a l’impression qu’il y a beaucoup plus de conflits que par le passé. Est-ce qu’en préparant cet ouvrage vous avez eu ce sentiment aussi ?

On peut dire qu’il y a un petit peu plus de crises et de conflits qu’il y a une demi-douzaine d’années, mais en fait il y en a moins qu’il y a vingt ans. Il ne faudrait pas conclure que c’était mieux avant ou qu’à la période du monde bipolaire le globe était plus pacifique. Je pense que cette perception est causée par les effets de la globalisation. Les médias sont plus tournés vers l’international qu’ils ne l’étaient auparavant, et il y a donc beaucoup plus d’attention. D’autre part, le public est plus informé, plus concerné et plus éduqué. Ce qui, auparavant, apparaissait comme une fatalité, comme les guerres, crises, atrocités, crée aujourd’hui un sentiment de révolte et de colère.

Est-ce que les causes des conflits sont toujours les mêmes qu’il y a quelques décennies, ou bien est-ce que tout tourne autour de l’économie désormais ?

Cela n’est pas non plus nouveau. Les motivations des conflits sont toujours l’intérêt et le prestige. Donc il y a soit des intérêts materiels (matières premières, volonté de contrôler des territoires ou des passages vers des territoires) soit une lutte pour le leadership. C’est par exemple le cas entre les États-Unis et la Chine. On pourrait dire qu’aujourd’hui, d’un point de vue économique, les deux perdent avec ce conflit commercial, mais en même temps c’est une question leadership au niveau mondial. Donc parfois, les questions de leadership vont à l’encontre des intérêts économiques.

Dans le livre, vous parlez d’illusions d’un monde de paix. Cela reste donc inatteignable selon vous ?

C’est une référence aux illusions qui ont été nourries juste après la sortie de la guerre froide. Beaucoup ont pensé que, comme elle avait structuré les perceptions stratégiques pendant plusieurs décennies, son arrêt signifiait la fin des conflits. Donc nous montrons que, malheureusement, ce n’est pas du tout cela, et cette illusion était excessivement optimiste et occidentalo-centrée. C’est-a-dire que, comme l’Occident avait perdu son ennemi principal, on pensait qu’il n’y avait plus d’ennemi dans l’ensemble du monde. Ce qui était, là aussi, excessif et illusoire.

Les formes de conflits ont-elles évolué, quand on voit l’actualité à Hong Kong ou en Algérie ?

Pendant longtemps, les mouvements les plus importants étaient des mouvements pro-indépendance pendant les guerres de décolonisation. Ensuite, on voit très bien que le facteur de l’opinion joue beaucoup plus, y compris au niveau international. Il est par exemple très important entre la Chine et le Japon, voire même entre la Chine et les États-Unis. Le public pèse de plus en plus sur les décisions des leaders.

Justement, est-ce que le rôle de ces leaders est toujours aussi primordial, entre les différentes organisations (G7, ONU, G20…) et le poids de la population ?

Leur pouvoir est toujours important, mais ils ont plus de possibilités, de choix, d’alternatives et de complexités en face d’eux. Les paramètres à prendre en compte sont nettement plus nombreux aujourd’hui, en raison de la multiplication des acteurs. Du temps de Louis XIV, Richelieu pouvait faire la politique de la France sans s’occuper de ce que disait la presse ou les mouvements d’opinion. Aujourd’hui, on le voit bien avec Emmanuel Macron lorsqu’il fait de la diplomatie. Il fait attention à l’opinion et veut satisfaire les Français.

Dans le livre, vous parlez de la crise au Venezuela, mais pas de celles à Hong Kong et en Algérie. Qu’est-ce qui les différencie ?

En ce qui concerne l’Algérie, nous n’en parlons pas car c’est un processus politique interne, et non pas un conflit internationalisé comme le Venezuela. Quand on parle de la Russie par exemple, on parle des conflits avec les voisins, mais pas des contestations politiques nationales. Pour Hong Kong, c’est encore à part car la situation est très spécifique et nous avons de nombreux chapitres sur la Chine, notamment dans les conflits face au Japon ou à Taïwan.

Quand Donald Trump a été élu, beaucoup on dit que les États-Unis allaient perdre leur voix au niveau international, mais vous n’êtes pas d’accord.

Donald Trump a trop été pris à la rigolade. Mais on n’arrive pas à la tête de ce pays par hasard. Au-delà du caractère excessif du personnage, il a un véritable agenda international afin d’obtenir une suprématie américaine incontestable. Il veut d’ailleurs l’établir non pas par la guerre comme l’on pourrait le croire, mais par la force économique en imposant des régimes de sanctions qui ne laissent plus de place aux autres acteurs. Effectivement, ce serait une erreur de le prendre à la plaisanterie, car c’est un acteur majeur et important des relations internationales.

En revanche, on surestime un petit peu le cas de l’Europe ?

Oui, l’Europe puissance est encore un projet plus qu’une réalité. Mais en même temps, elle n’est pas non plus le muet du sérail sur la scène internationale. Elle a un rôle de soft power important, il faut donc relativiser l’inexistence de l’Europe au niveau international.
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