ANALYSES

De quel bois se chauffe Jair Bolsonaro ? Chronique d’une catastrophe annoncée

Presse
7 septembre 2019
De quel bois se chauffe Jair Bolsonaro ? Du bois «Brésil», du bois d’Amazonie, qui partent en fumée depuis quelques semaines ? Vérité apparente, répondant à une question semble-t-il allant de soi ? Vérité «Inspirante», en dépit des fumées, pour beaucoup. Qui éructent aussitôt une bordée de mises en garde. Adressées à Jair Bolsonaro, président du Brésil depuis le 1er janvier 2019, au nom de valeurs environnementales universelles.

Valeurs prises au sérieux hors du Brésil, au delà, bien au delà de Planalto, le palais présidentiel brésilien. Tout simplement parce que ces principes ne sont pas familiers au Chef de l’Etat brésilien. Les pompiers écologistes de la France à l’ONU, en passant par l’Allemagne et la Norvège, ont été renvoyés dans leurs pénates, qui n’ont pas «1 km2 de forêt vierge», par le Président brésilien. Mais de quel bois se chauffe donc Jair Bolsonaro ? Pourquoi ce rejet des normes environnementales admises par presque tous les pays «civilisés», enfin presque. Serait-il, disent certains, ignare, voire inconscient, ou déséquilibré mental ?

Pour sortir du bois, et retrouver un sens, il faut retourner à la case départ. Passer au crible ce qu’a dit et fait depuis le 1er janvier 2019, le président Bolsonaro en matière environnementale. Que disait son programme électoral de 2018, «Proposition de plan de gouvernement» sur l’écologie et la déforestation ? Pratiquement rien. Il ne comportait en effet aucune référence à l’environnement. Dédié à la liberté d’entreprendre, et à la sacralisation de la propriété privée, il déléguait la gestion de l’espace rural et forestier aux producteurs agricoles. A l’occasion de réunions publiques le candidat Bolsonaro avait attaqué, le 2 février 2018 par exemple, le «chiisme écologiste» et «les industriels de l’extension des réserves indigènes». Le 28 octobre 2018, le soir de sa victoire, il avait signalé son intention de mettre un terme aux amendes imposées par l’Institut brésilien de l’environnement. Les députés et sénateurs agro-industriels, «Frente parlamentario de Agropecuário», (FPA), communément qualifiés de groupe «B», avaient apprécié ces prises de position, et le 2 octobre 2018 appelé à voter Jair Bolsonaro, aux côtés des groupes B comme Balles (policiers et militaires) et Bible (les évangélistes pentecôtistes).

Les premières annonces par le président élu et son équipe, ont confirmé cette philosophie productiviste libérale. Le Brésil devait accueillir la COP 25 en décembre 2019. Très en retrait sur les Accords de Paris, le Brésil de Jair Bolsonaro, n’a plus souhaité organiser l’évènement. Annonce faite dès le 7 novembre 2018, quelques jours après l’élection de Jair Bolsonaro à la présidence. Cette distance a été confirmée par la participation, le 5 juillet 2019, du gouvernement brésilien à une conférence négationniste du changement climatique, organisée à Washington par The HeartlandInstitute.

Les mesures prises ont été à l’avenant. Le 1er janvier 2019, premier jour de son gouvernement le Président Bolsonaro a supprimé le Conseil national de sécurité alimentaire, organisme qui avait été créé en 2003. Le 10 janvier 2019, 28 pesticides jusque là interdits ont été autorisés. Au 31 juillet 2019, ce sont 262 pesticides qui ont été légalisés. Le Chef de l’Etat a nommé Tereza Cristina, présidente du FPA, ministre de l’agriculture. Lui affectant la responsabilité de la délimitation des terres indigènes, retirée ainsi à la FUNAI (Fondation nationale de l’Indien). En pleine crise des feux de forêt le 27 août 2019, Jair Bolsonaro, devant les gouverneurs de l’Amazonie brésilienne a traité «d’irresponsables ses prédécesseurs», qui ont «instrumentalisé les Indiens pour affaiblir (l’économie) des Etats». Les agences et services de protection de l’environnement ont été placés sous la tutelle du ministère chargé du développement. Il en va ainsi de l’Agence nationale des eaux et du Secrétariat national de sécurité hydrographique.

Jair Bolsonaro a nommé ministre de l’environnement, Ricardo Salles, ex-directeur de la Société rurale brésilienne. Qui a procédé à un démantèlement des dispositifs protecteurs. Au nom comme il l’a revendiqué le 3 juillet 2019 du développement économique. Qui seul a-t-il déclaré est à même de réduire la déforestation. Les crédits de l’Institut brésilien de l’environnement ont été réduits de 25%. Ses responsables ont été remerciés. Et remplacés par des fonctionnaires complaisants à l’égard des industries extractives et des industriels de la terre. Le directeur de l’INPE, institut national de recherche spatiale, a également été démis de ses fonctions le 2 août 2019 pour avoir selon Jair Bolsonaro, diffusé des données mensongères, alimentant «une psychose environnementale».

Les conséquences de ce laxisme écologique organisé sont mesurables… 25% des Brésiliens boivent une eau «potable» de plus en plus contaminées par les pesticides. 500 millions d’abeilles seraient mortes de juin à août 2019. Les incendies en Amazonie, résultat de départs de feux, tolérés, et de moins en moins pénalisés, ont provoqué une déforestation exacerbée. Selon l’Institut national de recherche spatiale (INPE), la déforestation de l’Amazonie brésilienne aurait de juin 2018 à juin 2019 augmenté de 88%. Passée à 278% en juillet. Cet organisme a détecté 74 000 incendies depuis janvier. 30 000 de plus que pour toute l’année 2018. Poursuivant une inflexion négative constatée depuis 2015. De janvier à août 2019, l’Amazonie aurait perdu 4700km2.

Jair Bolsonaro admet la recrudescence exceptionnelle des sinistres en Amazonie. Mais selon son propos du 19 juillet 2019, les ONG seraient les principales responsables de cette situation. Elles se vengeraient ainsi de la rétraction des crédits qui jusqu’en 2018 leur étaient versés. «Nous sommes en guerre», a-t-il conclu. La guerre en effet est bien au rendez-vous. Jair Bolsonaro est en croisade contre le «marxisme culturel», diabolisation commode et magique de tous ceux qui contestent sa conception unilatérale, libérale, productiviste, extractiviste et évangélique, de la démocratie. «Le marxisme culturel a perverti jusqu’au paroxysme (…) la cause environnementale» avait pu déclarer en novembre 2018, quelques semaines avant sa prise de fonction comme ministre des affaires étrangères, Ernesto Araujo

Les ministres de l’environnement brésiliens des années 1993 à 2018, réunis à São Paulo le 8 mai 2019 ont fait un autre constat. Ils ont tiré une sonnette d’alarme. Pour dénoncer la chronique d’un désastre annoncé. Prédiction effectivement confirmée en ce mois d’août enfumé et enflammé d’Amazonie. Mais les défenseurs de la démocratie, et donc aussi de l’environnement, doivent, devraient, aussi tenir compte du terrain choisi par Bolsonaro pour esquiver ses responsabilités environnementales… Et poser au président brésilien la question en termes diplomatiques, renvoyant au respect des engagements internationaux signés par le Brésil, Accords de Paris sur le réchauffement climatique ; traité Mercosur-Union européenne. Faute de quoi, mais c’est un constat de plus en plus universel, on assisterait, comme on le voit ailleurs, entre l’Angleterre et l’Union européenne, les Etats-Unis et le reste du monde, la Généralité catalane et le gouvernement espagnol, à un dialogue de sourds.
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