ANALYSES

Hong Kong : « Pékin espère depuis le début que l’opinion se désolidarise après des violences du mouvement »

Presse
5 août 2019
On voit les manifestations hongkongaises prendre une nouvelle forme, plus violente. N’y a-t-il pas un risque que cela divise l’opinion du pays sur le bien-fondé de cette contestation ?

C’est justement ce que Pékin espère depuis le début, que l’opinion se désolidarise à la suite de nouvelles violences de ce mouvement. C’est notamment ce qui s’est passé en 2014 lors de la révolution des parapluies. Pékin pousse à la radicalisation du mouvement, excite les manifestants déjà au bord de la rupture, infiltre les manifestations pour provoquer des hyperréactions, afin de lancer le cycle radicalisation-répression. Il y a toujours une tranche des manifestants prêt à se radicaliser, et Pékin appuie dessus pour provoquer une division de l’opinion publique. C’est un cas d’école de comment ruiner un mouvement populaire. On a vu la même chose en France avec les « gilets jaunes » : une fois que le mouvement se radicalise et que l’opinion publique se désolidarise, c’est fini.
Pékin appuie d’autant plus qu’il se rend compte du risque de contagion. Il voit certaines contestations naître dans des villes chinoises. Du coup, le gouvernement passe à la dénonciation d’agents étrangers, qui seraient à l’origine des manifestations, et lance des appels au nationalisme. Cela rajoute encore de la tension.

Pékin a d’ailleurs tapé du poing sur la table ce week-end, affirmant qu’il ne resterait pas « les bras croisés ». Ces manifestations violentes sont-elles l’opportunité pour la Chine d’enfin pouvoir réagir sans être accusé d’ingérence ?

Pékin cherche une légitimité à tout prix dans ses actions à Hong Kong. Ce que la Chine souhaite, c’est pouvoir dire : « On avait prévenu, on a été attentistes, malheureusement il y a eu des morts, on est forcé d’intervenir maintenant. » Le discours est même sans doute déjà prêt. C’est un hyperclassique de la gestion d’une manifestation, patienter paisiblement jusqu’à ce qu’elle dégénère. Ils attendent « le débordement de trop », et plus que l’attendre, ils vont essayer de le provoquer. Malheureusement, les Hong-Kongais se laissent piéger.

Ils se laissent piéger, mais ont-ils le choix ? Pour que leurs revendications aboutissent, y avait-il une autre solution ?

Une autre solution aurait été possible si les manifestants avaient été organisés. La désobéissance civile a abouti en Inde ou en Afrique du Sud. Mais il s’agissait de mouvements hyperstructurés, avec des relais hiérarchiques, pyramidaux, des leaders définis. Le mouvement Hong-Kongais n’a ni la discipline ni l’organisation pour réaliser une désobéissance civile efficace. Ce genre de mouvements populaires et spontanés basculent presque automatiquement dans le désordre, et l’appel à la répression par les autorités.

Avec le blocage des transports, les manifestants essaient-ils de s’attaquer au porte-monnaie pour faire réagir ?

Oui, mais en s’attaquant au secteur économique du pays, qui dérangent-ils ? Les gens très riches s’en fichent vite de ces quelques désagréments, c’est la population très pauvre de Hong Kong qui voit son quotidien perturbé lorsqu’on l’empêche de prendre le métro ou d’aller travailler. Une population qui était plutôt d’accord pour manifester et qui ne l’est plus maintenant que sa vie, déjà difficile, s’en trouve affectée. Les très pauvres s’opposent aux pauvres, les très discriminés aux discriminés… Diviser pour mieux régner, en somme.

Peut-on dire qu’on connaît déjà la fin de l’histoire du coup ?

On ne peut pas l’affirmer, ce n’est pas écrit à 100 %, mais on peut effectivement imaginer comment ça risque de finir. Il va y avoir une déliquescence du mouvement, avec ou sans violence. Une fois encore, comme les « gilets jaunes ».
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