ANALYSES

Tension Macron-Bolsonaro : « Ni la France ni le Brésil n’a intérêt à cesser les échanges »

Presse
27 août 2019
Pourquoi le Brésil a-t-il refusé le fond d’urgence débloqué par les membres du G7 ?

Le Brésil garde la même position depuis le début, à savoir qu’il considère que la question amazonienne est une question de souveraineté nationale, de raison d’Etat. C’est au nom de la défense de cette souveraineté que le Brésil refuse de se voir imposer par le cénacle du G7 une intervention sur les feux de forêt. De plus, le gouvernement Bolsonaro affirme que les pays du G7 ne respectent pas leurs engagements pris dans le cadre du Fonds vert pour le climat et de l’Accord de Paris pour accompagner les pays émergents dans la lutte contre les effets du changement climatique, dont la déforestation, et leur transition écologique.

La deuxième raison, c’est que Jair Bolsonaro, sous la pression internationale, a quand même reculé sur ses positions et a pris un certain nombre d’initiatives en urgence. Il a notamment proposé, avec le président colombien Ivan Duque, l’élaboration d’un programme régional de sauvegarde de l’Amazonie, c’est-à-dire géré exclusivement par les pays amazoniens, qui sera présenté à l’Assemblée des Nations unies, fin septembre.

La crise entre le Brésil et la France a-t-elle atteint son paroxysme ou doit-on s’attendre à une nouvelle escalade de tensions ?

Le pire scénario, ce serait la sortie du Brésil de l’accord de Paris et la rupture totale des contacts entre la Brésil et la France, mais c’est peu probable aujourd’hui. Aucun des deux pays n’a intérêt à cesser les échanges, ni la France, ni le Brésil. Une fois que le radar médiatique sur le G7 sera retombé, les activités économiques habituelles entre la France et le Brésil vont devoir reprendre. Il y a près de 1.000 entreprises françaises présentes au Brésil, c’est le principal marché de la France en Amérique du Sud.

Par ailleurs, Jair Bolsonaro s’apprête à ouvrir un cycle de libéralisation et d’ouverture des marchés publics. Les entreprises françaises se sont déjà positionnées pour tout un tas de contrat de rénovation d’infrastructures (port, routes, aéroports). Il est sûr que ces possibles contrats vont peser dans les relations à venir entre Emmanuel Macron et Jair Bolsonaro. La tension ne va pas s’arrêter du jour au lendemain, mais je pense qu’elle va prendre une forme moins virulente dans les jours à venir. Il reste la question de l’extinction des feux en Amazonie, même si le Brésil affirme que la situation est sous contrôle. Il faut déjà attendre de voir si le pays arrive à se passer de l’aide des principales puissances internationales.

Cette crise politique peut-elle influer sur les exportations agricoles ?

Si cette crise est unique et si elle résonne à l’international, c’est parce qu’elle met en lumière les problématiques que posent notre système économique international, notre système de production, d’échange et de consommation. Et ce système est en contradiction flagrante avec la capacité de l’écosystème et des ressources naturelles.

C’est ça le fond de la crise. La voracité de l’agrobusiness brésilien n’est que le miroir de la nôtre : si le secteur agroalimentaire brésilien déforeste à tout va, c’est d’abord parce qu’il doit répondre à la demande des marchés extérieurs, comme la Chine, les Etats-Unis ou l’Union européenne, et donc la France.

Pourquoi les exportations de soja et de bœuf constituent un enjeu important de cette crise ?

Car le Brésil est le premier exportateur mondial de bœuf, et l’Union européenne est l’un de ses plus gros clients, juste derrière la Chine. Et c’est ça finalement, le fond du problème, l’agrobusiness brésilien répond aux besoins des pays consommateurs. Pour le soja, le principal client du Brésil, c’est la Chine, qui l’utilise comme combustible. Mais dans l’Union européenne, le soja, importé massivement, est utilisé principalement pour l’alimentation animale, depuis la crise de la vache folle. D’ailleurs, Emmanuel Macron, lui-même, a reconnu que la France avait « une part de responsabilité » dans ces importations massives.

Pourrait-on arriver à un embargo si l’escalade de tensions se poursuivait ?

Certains réclament un embargo sur le soja ou sur les viandes, mais aujourd’hui, les seuls qui pratiquent l’application de mesures restrictives, ce sont les Etats-Unis. Les Européens y sont opposés par principe, ils considèrent que c’est contraire au droit international. On est loin d’un embargo aujourd’hui.

Mais cette crise oblige le gouvernement français à répondre à la contradiction à laquelle il est confronté : la France critique le Brésil, mais continue d’importer ses produits. Ce matin, Elisabeth Borne, la ministre de la Transition écologique et solidaire, a déclaré que cette crise posait la question de l’autonomisation productive en Europe, notamment en matière de soja et de bœuf. Ça oblige le gouvernement à réfléchir à une solution plus locale pour la production de ce type de produit.

Cette crise peut-elle mener l’affaiblissement voire le départ de Jair Bolsonaro ?

La formule prononcée lundi par Emmanuel Macron sur Jair Bolsonaro («J’espère qu’ils auront un jour un président qui se comporte à la hauteur ».) est bien choisie et elle a eu une certaine résonance. Au Brésil, beaucoup considèrent que le président Bolsonaro fait honte au pays, qu’il n’est pas à la hauteur, qu’il détériore l’image du Brésil. Cette crise a écorné l’image internationale de Jair Bolsonaro, a remobilisé ses opposants et surtout, l’a affaibli politiquement. Il a dû prendre acte de la pression internationale, il a dû reculer, il attendait un soutien de Donald Trump au G7, ce que n’a pas fait le président américain.

Mais attention, cette crise pourrait aussi renforcer les soutiens de Bolsonaro. Et ces derniers, ce sont d’abord les lobbys de l’agrobuisness. Aujourd’hui avec Bolsonaro comme président, le lobby de l’agrobuisness est au pouvoir au Brésil. Il faudra voir dans les jours qui viennent s’il n’y a pas de durcissement ou de radicalisation de leurs positions pour défendre leurs intérêts. Il faudra aussi qu’Emmanuel Macron prenne soin de ne pas offrir à Bolsonaro ce qu’il attend : montrer qu’un pays riche, du Nord, veut, au-delà de sa confrontation avec lui, s’ingérer dans la vie latino-américaine et culpabiliser les pays du Sud quant aux questions climatiques et de développement.
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