ANALYSES

« Ni l’Iran ni les États-Unis ne veulent un conflit militaire »

Presse
13 juin 2019
Interview de Francis Perrin - Le Dauphiné
Pour la deuxième fois en un mois, des navires pétroliers ont été attaqués ce jeudi près du détroit d’Ormuz, en mer d’Oman, au Moyen-Orient. Les États-Unis accusent l’Iran. Francis Perrin, directeur de recherche à l’IRIS (Institut de Relations Internationales et Stratégiques), nous décrypte cette crise.

Deux navires pétroliers ont été attaqués près du détroit d’Ormuz. Les regards se tournent vers l’Iran. Que faut-il en penser ?

« Il faut être prudent. Autant sur les faits – certains parlent de torpilles, d’autres de mines – que sur les responsabilités. Mais, d’autant plus vu l’importance cruciale de cette région, des enquêtes vont être lancées, aussi bien par les entreprises concernées que par des acteurs étatiques. »

Il y a un mois, quatre tankers avaient déjà été endommagés au même endroit. Washington avait accusé directement Téhéran… Pourquoi l’Iran s’en prendrait à des navires civils ?

« Un des scénarios serait que l’Iran, directement ou indirectement via un groupe dans son orbite, soit responsable. Dans ce cas, son intérêt serait double : dissuader – pour rappeler qu’elle est une puissance qui compte et qu’il s’agit de la traiter en conséquence -, et mettre la pression sur le prix du baril. Les sanctions américaines ont fait baisser les exportations iraniennes. L’augmentation du prix du baril permettrait à Téhéran, si ce n’est de compenser les pertes, du moins de les limiter… »

Pourquoi la tension est-elle si forte autour du détroit d’Ormuz ?

« La moitié des réserves de pétrole et de gaz se trouvent au Moyen-Orient. La principale voie d’évacuation, c’est le détroit d’Ormuz. Chaque jour, 17 millions de barils y transitent, sur une production mondiale totale de 100 millions. »

C’est pourquoi Téhéran menace régulièrement de le bloquer…

« Le détroit est international. La liberté de circulation maritime y est garantie. Il y a deux pays-clés pour le surveiller : l’Iran et Oman, qui le bordent. Mais aucun ne peut le bloquer. Rien ne dit que les menaces de Téhéran seront jamais suivies d’effets. Bloquer un détroit international, c’est un acte de guerre. Surtout un détroit aussi vital pour le commerce mondial. Évidemment, l’Iran s’attirerait les foudres – et pas seulement verbales – de la communauté internationale. Les États-Unis, par exemple, stationnent leur puissante Vème flotte à proximité, du côté de Bahreïn. »

Il n’y a donc pas de risque de voir les tensions dégénérer en conflit ouvert ?

« Ni l’Iran ni les États-Unis ne veulent une confrontation militaire. Mais le climat est extrêmement tendu et c’est très dangereux. La présence de la Vème flotte, récemment renforcée, les déclarations à l’emporte-pièce de l’administration Trump, qui vient de classer les pasdarans [N.D.L.R. : Corps des Gardiens de la révolution islamique, organisation paramilitaire d’Iran] parmi les organisations terroristes, les tensions entre l’Arabie saoudite et l’Iran, sans oublier Israël, qui n’est pas en première ligne, mais a fait de l’Iran son ennemi principal… Avec tout cela, on peut craindre que des incidents graves surviennent. »

Quelles sont les conséquences de ces tensions sur les prix du pétrole ?

« Jeudi, les prix ont immédiatement grimpé. Si vous êtes trader et que vous apprenez qu’il se passe des choses bizarres dans une région où se trouvent la moitié des réserves mondiales, vous prenez des positions à la hausse… Mais le pétrole a baissé ces dernières semaines, depuis les attaques survenues le mois dernier. Le marché est très réactif… Il a donc déjà oublié les incidents. Il s’est attardé sur des indicateurs économiques, qui laissent entrevoir un possible ralentissement de la demande : hausse de la production et des stocks de pétrole américains, tensions commerciales sino-américaines… Du coup, le prix du Brent a été ramené autour de 60 dollars. »

 

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Propos recueillis par Ryad Benaidji
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