ANALYSES

Iran, Corée du Nord, Venezuela : derrière Donald Trump, il y a la patte de John Bolton

Presse
9 mai 2019
Interview de Jeff Hawkins - L'Opinion
Comment analysez-vous la politique étrangère américaine qui semble engluée, aujourd’hui, sur de nombreux dossiers ?

La politique étrangère de l’administration Trump a deux motivations. La première est totalement imbriquée à la politique intérieure des Etats-Unis. Le Président estime que négocier de nouveaux accords commerciaux avec la Chine ou avec le Mexique et le Canada peut plaire à sa base électorale sur le plan économique. C’est le cas aussi de ses interventions au Venezuela dès lors que l’on sait que la Floride, un État-clé pour sa réélection en 2020, compte de fortes communautés latino-américaine, cubaine et vénézuélienne, particulièrement attentives à ce qui se passe dans leurs pays respectifs. La seconde motivation tout comme sa façon de procéder lorsqu’il s’agit de pays comme la Corée du Nord ou l’Iran sont plus difficiles à expliquer. On peut y voir une volonté de détricoter tout ce qu’avait fait Barack Obama avant lui et un alignement sur la politique de Benjamin Netanyahu en Israël. C’est d’autant plus étonnant qu’en général Donald Trump a tendance à vouloir éviter les conflits et prêche plutôt en faveur d’un désengagement des troupes américaines comme en Syrie ou en Afghanistan.

Il y a quand même des couacs au niveau de la mise en musique de sa politique. On l’a vu au Venezuela, où son administration n’a pas réussi à provoquer la chute du régime Maduro, d’abord via l’envoi d’une aide humanitaire puis par une tentative de déstabilisation de l’armée…

Cet interventionnisme est d’autant plus surprenant qu’au début Washington semble avoir privilégié la voie diplomatique en travaillant avec le groupe de Lima, les Européens et les Nations unies. Je pense que la pression politique en Floride, où Donald Trump a déjà commencé à mener campagne, l’a poussé à changer de stratégie pour montrer qu’il est vrai- ment actif sur le dossier. Maintenant, c’est vrai qu’à ce jour, on ne peut pas dire que ce changement de politique ait été très efficace. D’autant qu’il y a un risque réel, en dépit de la crise profonde traversée par ce pays, qu’une ingérence américaine ait l’effet inverse de celui recherché et réunisse la population vénézuélienne derrière Maduro. C’est un phénomène qui pourrait d’ailleurs se produire aussi en Iran. Imposer un changement de régime implique de la sophistication et de la patience. Ce ne sont pas des qualités qui caractérisent l’administration Trump. Même si Mike Pompeo, le nouveau secrétaire d’Etat, a commencé à combler les trous, la diplomatie américaine a perdu nombre de ses cadres dirigeants à l’époque de Rex Tillerson. Beaucoup n’ont pas été remplacés à ce jour. On peut y voir une politique délibérée de Donald Trump, plus à l’aise avec des intérimaires, des gens qui dépendent totalement de lui et suivent ses instructions à la lettre. C’est ainsi que des postes importants comme celui de ministre de la Défense, de la Sécurité intérieure ou d’ambassadeur des États-Unis aux Nations unies n’ont pas de titulaires officiels ! A mes yeux, il y a un vide qui a été créé volontairement.

Quel est le poids de John Bolton, le conseiller à la sécurité de la Maison-Blanche, auprès de Donald Trump ?

John Bolton est un cas intéressant. Il est émotionnellement totalement en phase avec le Président, beaucoup plus que son prédécesseur McMaster, qui était de la vieille école. Lui, c’est un révolutionnaire ! C’est quelqu’un qui n’aime pas les Nations unies, le multilatéralisme, qui pousse au bombardement de l’Iran, qui cherche la confrontation… Je vois plus sa patte que celle de Donald Trump derrière l’envoi d’un porte-avions tout comme dans le déroulement des négociations avec la Corée du Nord auxquelles il n’a jamais cru. J’étais convaincu que le Président était prêt à signer un accord à tout prix avec Kim Jung-un lors de leur sommet à Hanoï, en février dernier, ne serait-ce que pour revendiquer le prix Nobel de la paix. Je pense que l’échec des discussions est dû à John Bolton. D’ailleurs, les Nord-Coréens n’ont pas été dupes. Ils l’ont désigné avec Mike Pompeo comme faisant partie des gens avec lesquels ils ne peuvent pas travailler. Cela devient d’ailleurs un problème pour le Président qui, même s’il l’apprécie, ne partage pas les positions belliqueuses de John Bolton.

Pensez-vous que Donald Trump puisse faire marche arrière sur des dossiers comme l’Iran, la Corée du Nord ou le Venezuela ?

L’avantage avec lui c’est qu’il n’est pas lié à une politique quelconque. Il ne se sent pas engagé à défendre le leadership des Etats-Unis dans le monde, ni à suivre l’orthodoxie républicaine. Il change très souvent d’avis, sa base ne lui en veut pas. Même s’il a quelques préjugés, il est assez libre pour un homme politique. Il n’a pas d’idéologie propre. J’ai d’ailleurs l’impression qu’il pourrait y avoir un accord avec la Corée du Nord. Des deux côtés, on a laissé des portes ouvertes pour l’organisation d’un nouveau sommet entre les deux chefs d’Etat. Si Kim Jung-un n’est pas prêt à brader les intérêts de son pays contre un accord de paix, je n’en dirai pas autant de Donald Trump. Il faut vraiment analyser sa diplomatie sous le prisme de la politique intérieure américaine. Ce qui est important pour lui, c’est sa réélection en 2020.
Sur la même thématique