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Attentats de Christchurch : « L’Australie n’a pas encore fait son travail d’introspection identitaire »

Presse
15 mars 2019
20 Minutes a interrogé Barthélemy Courmont, directeur de recherche à l’IRIS sur la zone Asie-Pacifique, au sujet du ressenti identitaire en Australie, alors que le principal suspect des attentats d’extrême-droite de Nouvelle-Zélande est australien.

En France, on pense peu à l’Australie comme un pays où l’extrême droite et le racisme trouveraient leur place. Est-ce une vision tronquée et réductrice ?

Il faut cesser cette vision idéalisée que l’on a en Europe d’une Australie terre d’accueil. C’est beaucoup plus le cas de la Nouvelle-Zélande, par exemple. Mais en Australie, il y a un taux de criminalité plus élevé qu’en Nouvelle-Zélande, même s’il est plus faible qu’en Europe ou aux Etats-Unis, ce qui est source de tension. La question des immigrés y est sensible. Pendant des décennies, l’île-continent a été une terre connaissant des vagues d’immigration massives, mais cela est de plus en plus mal vu.

Surtout, alors que la Nouvelle-Zélande connaît principalement une immigration européenne et provenant des îles pacifiques, celle de l’Australie est plus globale et diversifiée. Il y a une très forte immigration des pays asiatiques voisins, notamment l’Indonésie (à grande majorité musulmane) et l’Afghanistan. De fait, au début des années 2000, le Premier ministre conservateur de l’époque a fait passer des lois pour restreindre l’immigration. En août 2001, un bateau de réfugiés afghans s’est fait refuser l’accostage sur les côtes australiennes, et a été laissé à l’abandon dans l’océan, jusqu’à ce que… la Nouvelle-Zélande vienne le secourir.

Comme en France, y a-t-il des thèses comme celle du grand remplacement qui circulent ?

La crainte d’un grand remplacement existe. Elle n’est pas exactement comme en Europe occidentale, où le grand remplacement vise une communauté très spécifique, mais il y a cette peur d’un remplacement par tout ce qui serait non-occidental. La tension y est forte, avec notamment de nombreux cas de haine raciale. La population a fortement changé dans les décennies 1970, 1980, 1990 avec des vagues d’immigration de moins en moins européennes et de plus en plus asiatique. Et forcément, cela fait écho à l’histoire du pays, où une population occidentale a « soudainement » remplacé une population de locaux bien installés. De par ce passé, pas encore consommé, la peur d’un grand remplacement est beaucoup plus vivace, car il a concrètement déjà eu lieu il y a des siècles, et il y a cette crainte qu’il recommence.

Pour dire, en 2008, l’Australie a connu son propre grand débat national sur la question de l’identité du pays. La question posée était : sommes-nous une grande puissance asiatique ? Cela peut s’entendre, tant par la proximité géographique, commerciale au vu des nombreux échanges que par la société australienne elle-même de plus en plus composée d’Asiatiques. L’Australie n’a pas encore fait son travail d’introspection identitaire, elle a encore du mal à définir qui elle est. Une puissance européenne ? Asiatique ? Océanique ? Pour prendre encore l’exemple de la Nouvelle-Zélande, ils ont réglé la question de leur identité dès l’indépendance. Les Maoris sont le peuple local, tout le reste (blanc, asiatiques, etc.) sont des immigrés. D’ailleurs le fait que l’attentat, fruit de la peur du grand remplacement, se passe dans un pays autre que celui du terroriste, montre bien le profond mal-être de cette question.

Quelle est la place de l’extrême droite en Australie ?

Il n’y a pas de grand parti médiatique haineux ou extrémiste, c’est plus un climat qui peut parfois être nauséabond avec une question identitaire encore très mal définie et assumé. La société est très américanisée, elle prône le communautarisme comme aux Etats-Unis. Cela a ses vertus et ses désagréments, notamment parfois une haine entre les différentes communautés. La société australienne reste quand même très paisible malgré tout, et l’événement de ce matin est profondément déstabilisant pour un pays peu habitué à ce genre d’actualités. Mais on peut voir que par exemple, la Nouvelle-Zélande, encore plus choquée que l’Australie, a de suite réglée toute tentative de polémique identitaire, en indiquant par la Première ministre elle-même que les victimes étaient néo-zélandaises car elles avaient choisi ce pays. Passé le temps de l’émoi, il sera intéressant d’observer les réponses de l’Australie sur cette question.
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