ANALYSES

« Le Venezuela entre dans une phase d’enlisement »

Presse
28 février 2019
Le Groupe de Lima, composé de pays hostiles au président Nicolás Maduro, a écarté l’usage de la force envisagé par Washington. Les États-Unis s’apprêtent à demander cette semaine un vote du Conseil de sécurité sur une résolution portant sur le Venezuela.

La volonté d’intervention militaire des Américains vient de se heurter au refus de ses alliés du groupe du Lima. Où en est la stratégie de Washington ?

Christophe Ventura : L’objectif des Américains est le changement de régime : faire tomber le régime chaviste de Maduro et ce, par tous les moyens y compris l’intervention militaire. Cette stratégie est définie par Donald Trump, Mike Pence, son vice-président, le secrétaire d’État Mike Pompeo mais aussi Marco Rubio, sénateur républicain de Floride qui en est l’architecte au quotidien. Une ligne sur laquelle se retrouve Juan Guaido, le président autoproclamé du Venezuela qui, dès son arrivée à la dernière réunion du groupe de Lima, a réaffirmé que toutes les options étaient sur la table.

C’est la stratégie que continuent de pousser les Américains, après l’échec de l’opération dite humanitaire du 23 janvier, malgré des vents plus ou moins mauvais. Car l’intervention militaire laisse dubitative la communauté internationale, y compris le groupe de Lima ou l’Union européenne. S’ils veulent certes la chute de Maduro, ils refusent une intervention militaire estimant que celle-ci serait une déflagration qui déstabiliserait toute la région.

Après ce flop, les États-Unis se retrouvent un peu piégés car sans nouvelle cartouche. Mais si l’idée d’une intervention militaire se fragilise, elle reste plus que jamais sur la table avec le risque d’enlisement.

La convocation de l’ONU n’est pas une nouvelle cartouche ?

Les Américains vont en effet déposer une résolution pour obtenir un corridor humanitaire. Mais c’est essentiellement de l’activisme diplomatique en attendant un nouveau rebondissement stratégique. Cette résolution n’a en effet aucune chance de passer avec le veto de la Chine et de la Russie. Il sera en revanche intéressant de regarder s’il y a des abstentions de la part de pays engagés contre Maduro. À noter que l’ONU, par la voix de son secrétaire général notamment, rejette cette approche humanitaire. Non pour nier le problème mais parce qu’il y a une instrumentalisation à des fins politiques. Même les grands diplomates ne se cachent plus derrière des mots timorés pour le dénoncer.

Comment caractérisez-vous les forces en présence ?

Pour le comprendre, il faut d’abord dresser un panorama des différentes positions. Il y a d’une part ceux qui rejettent Nicolás Maduro : globalement le camp occidental. Un groupe qui se divise en deux sous-ensembles reconnaissant ou pas Guaido, avec encore une subdivision entre les pour et les contre une intervention militaire.

D’autre part, il y a ceux qui reconnaissent la légitimité de Maduro. Un groupe encore divisé entre ceux qui le soutiennent – Russie, Chine, Turquie, Cuba, Bolivie, Nicaragua… – et ceux qui reconnaissent sa légitimité sans le soutenir : l’essentiel des pays de la planète et l’ONU. L’ONU vient d’ailleurs de faire un rappel à l’ordre concernant le droit international, soulignant qu’on reconnaissait un État et non un gouvernement ou un régime.

Tout ceci montre que la question dépasse les frontières vénézuéliennes et révèle les déséquilibres et fractures de la communauté internationale. C’est un fait politique majeur qui nous dit quelque chose de la société.

Qu’en est-il du mécanisme de Montevideo, porté par le Mexique et l’Uruguay ?

Le Mexique était un des pays fondateurs du groupe de Lima mais qui, tout en en restant membre, ne le soutient plus. Avec l’Uruguay, ils proposent d’agir comme médiateur, en respect du principe de non-ingérence. Ils reconnaissent Maduro, mais aussi l’existence d’une opposition ainsi que les difficultés du pays, mais ne veulent pas prendre parti. Ils optent pour la neutralité, ce qui ne signifie pas ne rien faire.

Un processus différent de celui du groupe de contact mis en place par l’Union européenne ?

Oui car l’Union européenne pose comme préalable aux discussions le départ de Maduro, contrairement au mécanisme de Montevideo qui travaille à un dialogue sans condition préalable.

Un processus auquel Maduro participe ?

Auquel il s’est dit prêt à participer. Un processus également soutenu par Antonio Guterres, secrétaire général de l’ONU, qui a fait savoir qu’il était disponible pour y participer. Un processus en revanche immédiatement rejeté par Guaido et les États-Unis.

Comment appréciez-vous la manière dont Maduro a géré le coup d’État de Guaido ?

Il a fait le choix de ne pas transformer son adversaire en martyr afin de ne pas donner de grain à moudre sur le thème « Maduro est un dictateur ». Il l’a donc laissé libre de ses mouvements mais dans la limite du pays. Il lui a en effet interdit de sortir du territoire.

Et de sa gestion de la question humanitaire ?

La population vénézuélienne est indéniablement dans une situation dramatique, la santé et les médicaments semblant être le secteur où les problèmes sont les plus graves. Formuler ces problèmes en termes de « crise humanitaire » renvoie à une codification de droit précise, enclenchant toute une série de mécanismes.

Si on prend la peine d’écouter l’argumentaire de Nicolás Maduro, on voit qu’il ne nie pas la réalité mais discute les causes. Il affirme que ceux qui versent aujourd’hui des larmes de crocodile sur les difficultés des Vénézuéliens sont ceux qui organisent la crise. L’opposition vient de chiffrer à 30 milliards de dollars, le montant des sanctions imposées : 18 milliards correspondent aux actifs de la compagnie pétrolière vénézuélienne gelés par le Trésor américain, le reste au fait que le groupe de Lima vient de décider de faire de même. Maduro dit qu’empêcher l’accès à cet argent qui permettrait d’importer ce dont le Venezuela a besoin est ce qui crée des tensions. Mais il ne nie pas la situation. Pour preuve, des négociations sont en cours entre Caracas et l’ONU pour créer des corridors humanitaires.

Qu’en est-il du soutien de l’armée ?

La Colombie parle de défections : 325 ou 326. Des éléments à prendre avec prudence car c’est une guerre de communication. Mais si c’était le cas, 326 défections sur des effectifs militaires de 300 000, c’est tout sauf significatif.

Et de la population ?

Maduro conserve une base sociale qui n’est pas forcément acquise à sa politique ou sa personne mais qui reste très fortement liée au processus chaviste. Le peuple peut être critique envers Maduro mais il y a une espèce de réflexe unitaire quand les antichavistes menacent, comme l’a montré la capacité de mobilisation ces dernières semaines.

Comment voyez-vous la suite ?

Il n’y a pas de solution à court terme. On entre dans une phase qui va être d’enlisement. Cela va rebondir mais personne ne sait comment.

Entretien réalisé par Angélique Schaller
Sur la même thématique