ANALYSES

Manifestations en Algérie : les raisons de la colère

Presse
27 février 2019
La candidature du président Bouteflika à sa réélection pour un 5e mandat – malgré son état de santé et son âge – ne passe pas chez beaucoup d’Algériens. Des centaines de milliers d’Algériens ont investi les rues dans différentes villes à travers tout le pays et à l’étranger ces derniers jours pour manifester pacifiquement leur opposition à la présidence de Bouteflika, brisant ainsi le mur du silence et de la peur.

Cette mobilisation inédite n’était certainement pas attendue par le régime actuel et elle risque de durer. Elle a également surpris l’opinion internationale et les observateurs d’un pays qui avait pourtant échappé aux révoltes du « Printemps arabe » de 2011.

On peut s’interroger sur les facteurs qui ont conduit aujourd’hui à une telle mobilisation et sur l’impact qu’elle aura sur les prochaines élections.

Un régime tout-puissant

C’est l’annonce de Bouteflika de briguer un 5mandat qui a provoqué la colère de centaines de milliers d’Algériens et enclenché une mobilisation citoyenne dans plusieurs grandes villes à l’appel d’anonymes sur les réseaux sociaux.

Celle-ci s’est effectuée de façon spontanée et en dehors des structures politiques traditionnelles, même si certains collectifs comme Mouwatana, un mouvement citoyen qui rassemble quelques partis et personnalités politiques et associatives, ont aussi appelé à descendre dans la rue.

Depuis le soulèvement populaire de 1988, jamais le pays n’avait connu une mobilisation d’une telle ampleur.

La population a longtemps été écartée du jeu politique. Le président Bouteflika détient tous les pouvoirs pour assurer sa réélection. Il a le soutien de l’administration et de l’armée, qui privilégie la stabilité plutôt qu’un changement risqué.

Il a pu asseoir son pouvoir grâce également à la coalition politico-financière de certains partis, comme le Front de libération nationale (FLN) et le Rassemblement national démocratique (RND), et de quelques hommes d’affaires qui ont émergé sous ses différents mandats.

Le président actuel bénéficie aussi des acquis de sa présidence : retour à la paix et investissements réalisés depuis son arrivée au pouvoir – modernisation et construction des infrastructures, construction de logements, d’universités et acheminement du gaz et de l’électricité sur tout le territoire, etc.

Malaise social

En face, dans un contexte caractérisé par l’émiettement des partis politiques dits d’opposition – de toutes tendances confondues – et un champs politico-médiatique fermé qui entrave l’émergence de nouvelles personnalités ou de formations politiques capables d’induire la régénération du système politique algérien, il n’y a pas de candidats assez puissants et crédibles pour s’opposer à lui.

Pourtant, la mobilisation actuelle pourrait changer la donne et bouleverser les rapports de force. Elle apporte une dynamique nouvelle et la population s’invite à présent comme acteur dans le jeu politique. Le pouvoir algérien doit désormais en tenir compte.

On pourrait donc se demander pourquoi une telle mobilisation n’a pas eu lieu avant, lors des révoltes de 2011 dans le monde arabe ou lors des élections présidentielles de 2014. Plusieurs facteurs visibles et d’autres moins ont contribué à ce phénomène.

La situation économique et sociale reste un facteur majeur. L’État a fait d’énormes investissements pour moderniser les infrastructures et encourager la relance économique, mais n’a pas réussi à développer une économie productive assez forte pour améliorer le pouvoir d’achat et absorber une proportion importante de jeunes demandeurs d’emplois.

La corruption et le clientélisme créent un sentiment d’injustice au sein des populations qui ne profitent pas des richesses du pays. Le malaise social a été accentué par la politique d’austérité appliquée depuis la chute des prix du pétrole en 2014, accompagnée par l’inflation des produits de base qui fragilise les classes moyennes et les pauvres.

Maturité politique

La longévité de la présidence de Bouteflika – qui risque de dépasser vingt ans s’il brigue un 5e mandat – cristallise la colère des Algériens et génère un sentiment de lassitude, voire d’humiliation en raison de l’état de santé du candidat. Se présenter pour un 5e mandat est une fois de trop pour beaucoup d’Algériens.

L’absence du président dans les médias depuis son AVC en 2013, visiblement très fragilisé comme le montrent quelques images, rend une telle candidature difficilement défendable par son entourage.

De plus, le progrès économique et social de ces vingt dernières années a fait émerger une classe moyenne qui fait preuve de maturité politique et porte des aspirations et des revendications politiques et sociales plus ambitieuses que ce que lui propose le gouvernement actuel.

Enfin, le rôle des nouvelles technologies n’est pas négligeable. L’existence d’internet et des réseaux sociaux qui couvrent aujourd’hui le territoire national concourt à l’extension des manifestations par la diffusion et la coordination des actions entre différentes villes.

Face à cette situation, le pouvoir va devoir chercher l’apaisement par le dialogue et éviter tout discours de défiance envers les populations mobilisées pour éviter les dérapages. Les protestations risquent de durer dans le temps et de se renforcer, notamment avec la mobilisation des universitaires qui ont décidé de rejoindre le mouvement.

Le pouvoir algérien doit apporter des mesures concrètes et préparer une réelle transition politique fondée sur un consensus national, comme l’annonçait d’ailleurs le président lui-même dans sa déclaration de candidature. Il y a aussi urgence à prévoir des réformes structurelles pour permettre une transition politique encadrée et éviter au pays une éventuelle situation de blocage.
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