ANALYSES

Crise vénézuélienne, sur la voie mexicaine ?

Tribune
28 février 2019


Le 23 février 2019 devait être le Jour J, de l’entrée au Venezuela de l’aide humanitaire des États-Unis. Et le Jour J de la chute de la Maison Maduro. Le 23 au soir, rien de fondamental n’avait bougé à Caracas. Nicolas Maduro occupait encore le palais présidentiel de Miraflores. Et Juan Guaidó, opposant autoproclamé chef de l’État, annonçait de Colombie son retour au Congrès des députés.

Donald Trump est sans doute un croupier de gala. Sa voix est ferme. Elle porte et emporte l’adhésion de ses amis qui ont applaudi ses rodomontades au verbe musclé. « Les jeux sont faits », a-t-il dit.  « Rien ne va plus » pour Nicolas Maduro. Mais peut-on décider du Venezuela, comme de tout autre pays, autour d’une table de conférences, aménagée pour jeux et paris de hasard sous les feux des caméras ? Manifestement non.

L’évocation d’un possible recours aux armes a rappelé Brésiliens et autres Colombiens à la raison. Et si Donald Trump disait vrai ? Compte tenu du côté hautement imprévisible du locataire de la Maison-Blanche, l’hypothèse belliqueuse sonnait comme une alarme. Les uns après les autres, les plus virulents pourfendeurs de Maduro ont confirmé tout le mal qu’ils en pensaient. Mais de là à partir en ingérence militaire il y avait un grand pas qu’aucun n’était prêt à franchir.

Réunis à Bogota, pour la première fois, sous la présidence physique d’un missi dominici, Mike Spence, vice-président des États-Unis, le 25 février, les membres du groupe de Lima, le Canada et douze pays latino-américains ont fait le bilan de la journée du 23 février 2019. Une fois encore, l’humanitaire, mis en avant et instrumentalisé est passé au second plan. Tous ont rappelé leur engagement « irréversible en faveur d’une transition démocratique » et proclamé « l’illégitimité de Nicolas Maduro », dont la « permanence » (…) représente une « menace sans précédent pour la sécurité, la paix, la liberté et la prospérité dans la région ». Mais pour autant ils ont considéré que cet objectif devait être atteint « sans recours à la force ».

Pourquoi donc autant de détermination verbale, de coups de menton, d’annonces menaçantes, pour en arriver là ? L’inimitié personnelle et idéologique des uns et des autres à l’égard de Nicolas Maduro ne fait aucun doute. La préoccupation concernant la gestion d’un volume de réfugiés humanitaires chassés par l’incurie et la gabegie de Caracas est tout aussi réelle. Au mieux cela permet de comprendre la verdeur et la raideur du verbe utilisé par le Brésilien Jair Bolsonaro ou le Colombien Ivan Duque. Mais prendre les armes supposait d’avoir un but de guerre, consistant qui manquait à l’appel. Il y a bien l’animosité à l’égard de Nicolas Maduro. Mais la menace sur la paix de la région n’est pas au rendez-vous.

Certes les uns et les autres, de Brasilia à Santiago, en passant par Madrid et Paris, ont fait leur la thèse constitutionnelle hasardeuse du président auto-proclamé, Juan Gaidó. Il y a vacance du pouvoir et donc selon l’article 233 de la Loi fondamentale il convient d’y remédier. Certes. Même en laissant de côté le cadre constitutionnel de la mise en œuvre de cet article, une manifestation de rue, il y a loin de la coupe aux lèvres. Le président autoproclamé a pour seuls appuis solides le parti de l’étranger, les États-Unis, les gouvernements latino-américains du groupe de Lima, et un certain nombre de pays européens. L’armée reste dans ses profondeurs, fidèle au régime ainsi qu’une partie, minoritaire, de la population. Autant dire qu’une intervention armée ne serait pas une partie de plaisir.

Les uns, en Amérique latine, et les autres en Europe, se sont donc ralliés à la stratégie de Washington : verbe sans concession, couplé sur un étouffement de l’économie du pays. Comprenne qui pourra. Curieuse façon de venir en aide à une population qui en a bien besoin que d’accentuer ses difficultés par des sanctions dont on sait par expérience qu’elles ne touchent pas les responsables du pouvoir. Le manque à gagner en 2019 pour le Venezuela selon une estimation des autorités nord-américaines serait de 11 milliards de dollars.

Mais il y a un paradoxe ultime. Est-on sûr que l’essentiel soit de renverser Nicolas Maduro ? Pour construire des consensus internes comme internationaux, le recours à la diabolisation est bien utile. Encore faut-il pour en maintenir l’usage le perpétuer au moindre coût. Nicolas Maduro est sans doute le bouc émissaire utile d’un drame dont la population vénézuélienne fait les frais. Il permet, aux États-Unis, à Donald Trump de cimenter les électorats républicains, en particulier en Floride d’où il a lancé ses anathèmes contre les armées vénézuéliennes. Il permet aussi de coaliser des alliés latino-américains malmenés par Washington pour des raisons commerciales, et liées à la croisade contre le trafic de stupéfiants. Il permet enfin de diaboliser les alliés supposés de Nicolas Maduro, dans chacun des douze pays membres du Groupe de Lima.

Quant aux Européens engagés dans cette galère, on ne saisit pas très bien pourquoi ils n’ont pas proposé la voie qu’ils ont privilégiée pour l’Iran. Voie que défendent deux pays latino-américains, le Mexique qui n’a pas participé à la réunion de Bogota, et l’Uruguay qui n’est pas membre de cette coalition.
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